9
Jan
2017
0

Kouachi, Coulibaly, Abaaoud et autres erreurs fatales

Dans mon livre « erreurs fatales », je dévoile quelques failles des services de renseignement qui démontrent que l’on aurait sans doute pu éviter des drames.

Des erreurs que j’explique aussi dans cette interview à TV5 Monde, diffusée le 9 janvier 2017, à revoir ici

tv5-monde

Voici quelques extraits de mon livre sur les failles du renseignement concernant les auteurs des attentats de 2015.

Sur les frères Kouachi, auteurs de la tuerie de Charle-Hebdo le 7 janvier 2015

« la DGSE pense que Saïd Kouachi s’est rendu au Yémen durant l’été 2011. Le jeune homme s’est effectivement envolé en direction de ce pays, en passant par le sultanat d’Oman, ce qui lui a permis de tromper les surveillances. Il s’est rendu sur place accompagné d’un gros poisson du djihad français, Salim Benghalem, un ancien dealer de Cachan, qui rejoindra ensuite Daech en Syrie. Au regard des liens des frères Kouachi avec Peter Chérif et AQPA, ce voyage au Yémen aurait dû mobiliser les services de renseignement, aux premiers rangs desquels la DGSE. Mais celle-ci a raté le coche […] Bernard Bajolet, patron de la DGSE, reconnaîtra devant des parlementaires en mars 2015 : « À posteriori, on peut se dire que l’un des frères Kouachi ayant séjourné au Yémen, nous aurions pu continuer de le suivre et ainsi empêcher l’attentat » Un aveu passé inaperçu […]

« Les bévues se poursuivent : bien que leurs liens avec plusieurs réseaux terroristes soient établis, la surveillance téléphonique des frères Kouachi est curieusement levée. La DCRI cesse d’écouter Chérif en décembre 2013. Autrement dit : comme il n’a pas évoqué au téléphone de projet terroriste, Chérif Kouachi ne mérite plus d’attention. De son côté, après avoir stoppé un temps ses écoutes sur Saïd Kouachi, la Préfecture de police de Paris les reprend début 2014, avant de les interrompre en juin 2014. En l’occurrence, Saïd vient de s’installer à Reims : il sort du champ de compétence géographique de la Préfecture de police. La DCRI – devenue DGSI dans l’intervalle – est censée reprendre le flambeau. Elle ne le fait pas. […] Faute d’autres moyens de surveillance ou d’autres critères de détection, les services de renseignement se rendent eux-mêmes sourds et aveugles. […]

« Détail méconnu : une heure après la tuerie de Charlie-Hebdo, avant même que la police judiciaire n’identifie formellement ses auteurs, la DGSE et la DGSI ont transmis une note commune à l’Élysée en parlant des frères Kouachi et de la volonté d’Al Qaïda de revenir en force. Aucun responsable des services de renseignement n’est donc surpris par le nom de ces terroristes. Ils ne veulent surtout pas que l’on pose de questions gênantes sur les ratés de leurs surveillances. »

Sur Amedy Coulibaly, auteur de la tuerie de L’hyper-Cacher le 9 janvier 2015

« De son côté, Amedy Coulibaly disparaît totalement de la circulation à sa sortie de prison en 2013. Condamné six fois entre 1999 et 2009, il n’a fait l’objet d’aucun suivi pénitentiaire, ni post-pénitentiaire. Le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, reconnaîtra devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015 les « carences » de ses services sur le cas de Coulibaly. De plus, alors qu’il a noué des contacts avec des figures du djihadisme français et qu’il a été condamné en 2013 pour avoir tenté d’organiser l’évasion d’un ancien terroriste, Amedy Coulibaly est toujours considéré comme un simple délinquant par les policiers. Les services de renseignement ne le suivent plus, car il n’a, selon eux, aucun projet terroriste. « Ils ont cessé de le surveiller alors que son pedigree était celui d’un vrai islamiste. La DGSI a fait une erreur majeure d’appréciation à son sujet», résume un expert, proche des services »

Sur Abedlhamid Abaaoud, organisateur des attentats du 13 novembre 2015 à Paris

« Les enquêteurs se penchent sur cette cellule de Verviers [démantelée le 15 janvier 2015 en Belgique avec l’aide de la DGSE]. Les deux djihadistes tués lors de l’assaut étaient en liaison téléphonique avec un dénommé Abdelhamid Abaaoud […]

« Depuis un appartement dans la banlieue d’Athènes où il s’est rendu clandestinement début 2015, le jeune terroriste a piloté directement la cellule de Verviers, grâce à des communications codées. Il était surveillé avant son démantèlement le 15 janvier. Faute de coordination avec les autorités grecques, son interpellation à Athènes est cependant retardée. Résultat : prévenu de l’opération de Verviers, Abaaoud a le temps de s’enfuir quelques minutes avant d’être arrêté, en se débarrassant au passage de son téléphone portable. […] Dès lors, toutes les polices et tous les services devraient être mobilisés pour traquer Abaadoud et ses complices. La filière de Verviers constitue une branche d’un réseau homogène de djihadistes recrutés par Daech […]

« En réalité, les services de renseignements belges sont dépassés par le flux des quelque quatre cent jeunes radicalisés de leurs quartiers partis faire le djihad en Syrie, dont les deux tiers sont revenus. De plus, la DGSE ne bénéficie pas d’une bonne implantation historique en Belgique, ni dans les autres pays européens. Ses agents ont du mal à infiltrer les réseaux […]

« Le pilotage des enquêtes et du renseignement demeure également chaotique en France. Les cloisonnements paralysent les services hexagonaux, qui disposent chacun de leurs propres fichiers, sans passerelle large, ni échanges massifs (…) Dans le numéro de février 2015 de Dabiq, un des magazines de propagande de Daech, Abdelhamid Abaaoud ironise sur le fait qu’il a réussi à échapper aux mailles du filet et à revenir en Syrie après l’affaire de Verviers, malgré les mandats d’arrêts internationaux lancés contre lui..

« Le 15 août 2015, le juge antiterroriste Marc Trévidic obtient la confirmation d’un futur scénario plus noir. Ce jour-là, il auditionne dans son bureau Reda Hame, un jeune technicien informatique français interpellé quatre jours plus tôt, à son retour d’un camp d’entraînement en Syrie où il a été blessé. Celui-ci révèle au magistrat avoir reçu, dès son arrivée à Raqqa, la consigne de deux Tunisiens et d’Abdelhamid Abaaoud, alias « Abou Omar », de commettre un attentat en France, notamment lors d’un concert de rock (…) Aucune consigne particulière de protection des salles de concert de rock, notamment le Bataclan, n’est émise auprès des militaires de l’opération Sentinelle – mise en place depuis les attentats de janvier.

« Les services de renseignement resteront complètement dans le brouillard concernant Abeldhamid Abaaoud.«Lors de nos réunions avec les services de renseignements, après le vendredi 13 novembre, ils nous ont assuré qu’Abaadoud était toujours en Syrie et qu’il ne pouvait pas être en France », se souvient un responsable de la direction centrale de la Police judiciaire. »

Copyright/Fayard/LLL- 2017

 

 

You may also like

« Y-a-pas-de-failles »: le mantra de Beauvau après les attentats
Strasbourg: un attentat redouté depuis des années… et des questions
« Histoire secrète de l’antiterrorisme »: diffusion le 13 novembre sur France 2
La liste de Mossoul, ou comment supprimer les djihadistes français

Leave a Reply