14
Jan
2025
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Quand Kadhafi offrait ses condoléances aux familles des «innocents passagers » du DC10 d’UTA

Le cynisme de Kadhafi n’avait aucune limite. Des archives inédites, libyennes et françaises, que Karl Laske et moi dévoilons dans notre livre « L’assassin qu’il fallait sauver », sorti ces jours-ci chez Robert Laffont, en apportent plusieurs preuves flagrantes.

[read this article in english here:Gaddafi’s condolences to families of innocent victims in DC10 case ]

Alors que, comme nous le révélons, son beau-frère et chef des services secrets Abdallah Senoussi a préparé minutieusement l’attentat qui a fait exploser le DC10 d’UTA au-dessus du désert du Ténéré (Niger) le 19 septembre 1989, provoquant la mort de 170 personnes, le dictateur libyen prend sa plus belle plume quelques jours tard pour présenter ses condoléances « les plus sincères » aux familles des « innocents passagers » morts dans ce qu’il appelle un « accident ». Ce message inédit (voir détail ci-dessous) que nous avons déniché dans les archives du Quai d’Orsay, est transmis le 25 septembre 1989 au président François Mitterrand par l’intermédiaire du représentant à Paris du Bureau populaire de la grande Jamahiryia libyenne populaire et socialiste. Kadhafi y écrit :

« Monsieur le président,

Nous avons appris avec tristesse e émotion la nouvelle de l’accident de l’avion civil français qi a coûté la vie à ses innocent passagers. Je vous adresse personnellement ainsi qu’aux familles des victimes les condoléances les plus sincères. Colonel Mouammar Khadafi. »

 

En termes de « sincérité », le dictateur, responsable du terrorisme d’Etat libyen qui a fait des centaines de morts dans les années 70 et 80 se pose en curieux champion !

Et ce n’est pas tout. Dès le surlendemain de l’attentat, alors que les enquêteurs français nagent en plein brouillard pour trouver une piste permettant d’identifier les coupables de cette tuerie de masse, des officiels libyens font passer des messages à des diplomates français à Tripoli visant à démontrer leur bonne volonté et à orienter l’enquête vers… le Mossad israélien. Dans un télégramme daté du 21 septembre 1989 (voir extrait ci-dessous) issu des archives diplomatiques françaises, Pierre Blouin, l’ambassadeur de France à Tripoli écrit : « Depuis la catastrophe aérienne du 19 septembre, les autorités libyennes multiplient les signaux pour se disculper de toute implication dans la destruction de l’appareil d’UTA », notamment en ayant autorisé le survol de leur territoire pour les avions français chargés des recherches des débris de l’appareil dans le désert. Le diplomate ajoute : « L’un des mes collaborateurs a été approché par des libyens chargés de lui faire savoir que leur pays n’était pour rien dans cette affaire e qu’il convenait d’en rechercher les coupables du côté des services israéliens ».

L’ambassadeur poursuit : « Ce zèle n’a évidemment aucune valeur probante, mais il est évident que la Libye doit être considérée comme innocente de toute responsabilité dans ce drame aussi longtemps que la preuve du contraire n’aura pas été apportée. A cet égard, je déplore que certains médias – et notamment des journalistes de radio France International – se soient crus autorisés à commenter l’implication de la Libye dans ce qui pourrait être un attentat terroriste ».

Les journalistes, en l’occurrence, avaient raison, avec beaucoup d’avance. Mais le Quai d’Orsay ne voulait pas croire à la duplicité libyenne. Durant des années, ses responsables auront même du mal à se convaincre, comme nous le racontons dans le livre, qu’il s’agissait réellement d’un attentat commandité par Kadhafi et organisé par Senoussi.

A l’égard des Américains, le cynisme libyen sera équivalent dans l’affaire de l’avion Pan Am, détruit le 21 décembre 1988 au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, avec 270 morts à la clé. Lorsque les enquêtes américaines et écossaises conduisent à l’inculpation de deux agents libyens, mi-novembre 1991, Kadhafi est prêt à tout, là encore, pour tromper ses interlocuteurs occidentaux. Il fait alors semblant d’écarter Abdallah Senoussi de la tête des services secrets, en annonçant la nomination d’un nouveau patron des services, le colonel Youssef El Dibri, ce qui ne constitue qu’une diversion, Senoussi restant aux mannettes. Et surtout, Kadhafi envoie, le 17 décembre 1991, un message secret au président américain Georges Bush. Ce « message oral » est envoyée par l’intermédiaire de l’ambassadeur belge à Tripoli, qui représente les intérêts américains (du fait de la rupture des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la Libye depuis 1979), reçu par Kadhafi de manière impromptue. Les diplomates belges en informent aussitôt leurs collègues français à Tripoli, qui transmettent son contenu à Paris dans un télégramme, ce qui explique pourquoi nous en avons trouvé la trace dans les archives du Quai d’Orsa (voir l’extrait ci-dessous)

Dans ce message, Kadhafi explique à Bush qu’il va lui adresser un document argumenté de 49 pages visant à orienter l’enquête sur l’attentat Pan Am vers d’autres pistes que la Libye. Il propose que son nouveau chef des services secrets puisse coopérer avec la CIA et d’autres services dans l’enquête sur les attentats de Lockerbie et d’UTA. « Si une coopération directe pose problème, on pourrait passer par l’’intermédiaire de l’Egypte » insiste-t-il. Kadhafi se dit ouvert à la coopération, mais il n’en fera rien, car il ne cessera de clamer l’innocence de la Libye dans ces attentats, tout comme son beau-frère Senoussi.

Les documents issus des archives de Senoussi lui-même, que nous détaillons dans le livre, prouvent aujourd’hui l’ampleur du mensonge libyen de l’époque.

9
Jan
2025
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Jour J pour la sortie de « L’assassin qu’il fallait sauver, au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi »

Le procès de Nicolas Sarkozy et de ses proches a débuté lundi 6 janvier au tribunal correctionnel de Paris, avec une grande affluence médiatique, des premières joutes procédurales et des promesses de combats judiciaires farouches durant plus de 3 mois.

Au premier rang, sur les bancs, l’ancien président, mutique les premiers jours, aux côtés des anciens ministres Eric Woerth, Brice Hortefeux et Claude Guéant, ainsi que des intermédiaires financiers. Tous présumés innocents. Suspectés d’avoir contribué, de près ou de loin, au pacte corruptif présumé entre le régime de Kadhafi et l’équipe Sarkozy, avec des financements en échanges de contreparties diverses. Parmi elles, un sujet sensible: l’impunité possible pour Abdallah Senoussi, condamné par contumace en 1999 à la perpétuité, dans l’affaire du DC10 d’UTA (170 morts). Beau-frère de Kadhafi, homme-clé du régime, Senoussi était au centre des discussions.

Karl Laske et moi publions ce 9 janvier un livre qui raconte l’histoire complète de ce terroriste d’Etat que certains voulaient sauver. Un livre basé sur des archives inédites de Senoussi lui-même, qui nous ont été fournies par un citoyen libyen, Samir Shegwara. Voici la présentation de ce livre, préfacé par Fabrice Arfi, qui retrace, de l’intérieur, plusieurs décennies de cette dictature, entre terrorisme et corruption….

« Les collaborateurs de Nicolas Sarkozy n’auraient jamais dû croiser la route d’Abdallah Senoussi, le maître espion de Mouammar Kadhafi, condamné pour terrorisme à Paris en 1999.

Ses archives récemment découvertes parlent. Essais d’explosifs dans le désert. Livraisons d’armes cachées. Repérages des lignes aériennes et des aéroports les plus propices. Réunions au sommet. Les services secrets du régime n’avaient rien laissé au hasard. Ils ont fait exploser le Boeing de la Pan Am au-dessus de Lockerbie le 21 décembre 1988, et le DC10 d’UTA le 19 septembre en plein désert du Ténéré. Un bilan total de 440 morts.

Une fois sa responsabilité établie par des enquêtes occidentales, la Libye, frappé d’embargo, a voulu montrer patte blanche. Elle a négocié avec les services secrets français, accepté des procès a minima, payé des indemnités aux victimes, tout en cherchant à tirer d’affaire Abdallah Senoussi.

C’est ainsi que l’espion libyen est devenu, dans l’ombre, une clé de la réconciliation avec les États-Unis et de la lune de miel franco-libyenne. Selon les archives libyennes, l’entourage de Nicolas Sarkozy lui aurait alors proposé d’agir en faveur de la révision de son procès en France, et la levée de son mandat d’arrêt. Il était l’assassin qu’il fallait sauver. L’homme de la compromission la plus grave.

Incarcéré en Libye depuis 2012, l’ancien maître espion libyen est aujourd’hui au cœur du procès de Nicolas Sarkozy et de son équipe dans l’affaire des financements libyens. »

Plus d’infos à venir sur la sortie du livre.

 

A voir également au cinéma en salles: « Personne n’y comprend rien« , le film documentaire de Mediapart sur l’affaire libyenne.

 

5
Jan
2025
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J-4 pour la sortie du livre «L’assassin qu’il fallait sauver, au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi »»

L’année 2025 démarre fort côté actualité, avec, demain 6 janvier, le début du procès de Nicolas Sarkozy et de plusieurs de ses anciens ministres pour le présumé « financement libyen ». Et le 9 janvier sort en librairie le nouveau livre que je co-signe avec Karl Laske (de Mediapart) titré « L’assassin qu’il fallait sauver, au cœur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi » (Robert Laffont). Cette enquête, à la fois historique et contemporaine, raconte l’histoire incroyable de la Libye du colonel Kadhafi, son implication au plus haut niveau dans le terrorisme et ses manoeuvres pour tenter d’effacer ce lourd passé.

Ce projet de livre a débuté il y a plus de 5 ans, après un premier contact noué par mes confrères Karl Laske et Fabrice Arfi  de Mediapart – qui ont révélé de nombreux aspects de l’affaire libyenne de Sarkozy, laquelle fait l’objet d’un film documentaire titré « Personne n’y comprend rien » qui sort en salles le 8/1 – avec un citoyen Libyen, nommé Samir Shegwara. Cet ancien opposant à Kadhafi leur a transmis quelques documents provenant des archives d’Abdallah Senoussi, l’ancien chef des services secrets libyens et beau-frère du Guide. A la suite de ce contact, Samir Shegwara a ensuite accepté d’adresser un ensemble beaucoup plus vaste de documents provenant de ce fonds d’archives, qu’il avait pu récupérer après la chute du régime en 2011. Je suis alors entré dans ce projet, fort de quelques expériences en matière d’archives et d’affaires liées au renseignement, au terrorisme et à la Libye.

Après avoir passé de nombreux mois à récupérer ces documents, les authentifier et les traduire, nous avons décidé de contre-enquêter afin de reconstituer l’ensemble des histoires que ces documents éclairent d’un jour nouveau : à savoir principalement, sous la houlette d’Abdallah Senoussi, la préparation, l’exécution, le suivi et les négociations liées aux attentats ayant détruit un avion de Pan Am au-dessus de Lockerbie (Ecosse) en décembre 1988, puis celui ayant visé un DC10 d’UTA au-dessus du Ténéré (Niger) en septembre 1989.

Longtemps, la Libye a nié son implication dans ces attentats, avant que des enquêtes menées en Écosse, aux États-Unis et en France, incriminent plusieurs responsables libyens, dont Abdallah Senoussi lui-même, condamné par contumace dans l’affaire d’UTA en 1999.

Les documents auxquels nous avons eu accès fournissent des informations inédites sur l’implication libyenne, les connexions entre les 2 attentats, le rôle de certains officiers dont le nom n’était pas apparu jusqu’à alors. Et aussi sur les négociations secrètes, entamées dès 1993 par Abdallah Senoussi pour se soustraire à la justice, puis pour tenter de faire annuler sa condamnation.

La possible impunité judiciaire de Senoussi -actuellement détenu en prison en LIbye – fut justement au cœur des discussions du présumé « pacte corruptif » entre le pouvoir libyen et les proches de Nicolas Sarkozy, en échange d’une promesse de financement de la campagne de ce dernier pour la présidentielle de 2007.

Notre enquête, enrichie de nombreuses autres sources inédites (américaines, britanniques et françaises) rejoint l’actualité du procès qui débute le 6 janvier au tribunal de Paris. Elle raconte l’histoire de Senoussi, un terroriste d’Etat, un assassin que certains voulaient sauver à tous prix. Un commanditaire d’attentats qui était au centre des tractations avec l’équipe de Sarkozy.

Plus de détails dans quelques jours sur cette enquête au long cours…

13
Déc
2024
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Quand Chirac rêvait de «l’effondrement » du régime d’Assad en Syrie

La chute de la dictature des Assad, le 8 décembre 2024, aura été trop tardive pour bon nombre de ses victimes. Après 54 ans de règne familial absolu sur ce pays, le départ de Bachar et la découverte de ses geôles terrifiantes n’a fait que confirmer l’infinie cruauté de ce régime sanguinaire, dont personne ne pouvait ignorer les méfaits, les dirigeants occidentaux les premiers. Certains appelaient de leurs vœux la fin de cette dictature, sans pouvoir la précipiter.

C’est le cas de Jacques Chirac. Fin connaisseur du Proche-Orient, ami de Rafic Hariri, l’ancien premier ministre libanais assassiné par les Syriens le 14 février 2005, le président de la République vouait une haine tenace à l’égard de Bachar el-Assad et de son régime qualifié de « stalinien », selon des confidences rapportées dans les archives de l’Élysée, auxquelles j’avais pu avoir accès en 2008, dans le cadre de la préparation d’un livre sur les relations franco-américaines titré « Dans le secret des présidents » (Fayard-LLL, 2010).

C’était il y a vingt ans. La rancœur de Chirac à l’encontre du fils Assad était d’autant plus grande qu’il avait essayé, dès son arrivée au pouvoir en 2000, de le convaincre de « moderniser » son pays, assouplir son régime et à « normaliser » ses relations avec ses voisins et anciens ennemis. Le président Chirac s’était rendu en Syrie en juin 2000 puis en octobre 2002. Pour sa part, Bachar El Assad était venu en France en juillet 1998 et juin 2001. Après la chute de Saddam Hussein en avril 2003, selon Chirac, la Syrie pourrait tourner la page, contribuer à stabiliser l’Irak, alléger son emprise sur le Liban et négocier un accord de paix avec Israël.

En novembre 2003, il envoie secrètement son conseiller diplomatique, Maurice Gourdault-Montagne en discuter avec Assad. Mais le fils Assad ne veut rien entendre. Pire, il poursuit ses actions de sape. Son clan a siphonné 2 milliards de dollars sur des comptes irakiens chez lui, au lieu de les rendre aux Irakiens. Le dictateur facilite l’entrée de djihadistes en Irak, via son territoire, pour combattre les Américains sur place. De plus, Assad continue de soutenir le Hezbollah au Liban et les mouvements palestiniens radicaux, comme le Hamas et le Djihad islamique, ennemis jurés d’Israël. Les Etats-Unis le savent et veulent sanctionner son régime.

Pour sa part, Jacques Chirac plaide en faveur d’une action conjointe visant à contraindre Assad à retirer son armée du Liban. Le 2 septembre 2004, le conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1559 qui oblige la Syrie à ce retrait. Assad subit ainsi un camouflet diplomatique. Face à la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, Jacques Chirac se lâche le 8 février 2005 sur le régime syrien: « La petite minorité alaouite (chiite) la dirige d’une main de fer depuis l’époque de la guerre froide et avec des méthodes inspirées du camp soviétique. Hafez El Assad a été remplacé par son fils qui n’a ni la même expérience, ni la même intelligence. Il est la clé de voûte d’un système qui, sans lui, s’effondrerait. Mais les dirigeants actuels ne savent plus quelle direction prendre, d’où des mouvements désordonnés. »

Selon Chirac, il faut exiger l’application de la résolution 1559. La réponse d’Assad ne se fait pas attendre : le 14 février 2005, une bombe explose sous la voiture de Rafic Hariri (photo à droite) considéré comme un ennemi par le Syrien. Lors d’un entretien avec George Bush, le 21 février, Chirac explose de colère, après l’assassinat de son ami, dont la Syrie est, selon lui, responsable : « L’attentat contre Rafic Hariri n’a pu être commis que par des services organisés et expérimentés, dit-il. Pour qui connaît le fonctionnement du système alaouite au pouvoir à Damas, le doute n’est pas possible : la décision a été prise par le président Assad. Toute autre hypothèse n’a pas de sens. »

Chirac ajoute, à l’adresse du président américain : « Notre objectif doit être de libérer le Liban de la domination syrienne, car la Syrie vit de l’exploitation du Liban à travers un système de corruption organisé au sommet. La minorité alaouite constitue le dernier régime de type stalinien. Le Liban est son talon d’Achille. » Sur ses notes, le président français a souligné ces mots à la main : « La Syrie ne rendra gorge que si on lui fait peur et si on lui fait mal ».

Ensemble, Chirac et Bush accentuent la pression sur Damas, qui finit, le 6 mars 2005, par annoncer le retrait de ses troupes du Liban. Le lendemain, lors d’un échange téléphonique, les présidents français et américains s’en félicitent. Mais il faut aller plus loin, selon Chirac : «Certains parlent de provoquer un changement de régime en Syrie. Le faire apparaître ferait le jeu de Damas, dit-il à Bush. Si on obtient le retrait et une perte de contrôle de la Syrie sur le Liban, le régime syrien s’effondrera de lui-même. Il existe actuellement un arc chiite de l’Iran au Liban en passant par le nouvel Irak et la Syrie alaouite. Mais les Alaouites sont minoritaires. Dans la Syrie de demain, la démocratie amènera au pouvoir les Sunnites et les Chrétiens, ce qui enfoncera un coin dans l’arc chiite ».

Quelques mois plus tard, Jacques Chirac est toujours partisan de la fermeté à l’égard d’Assad. Il livre son analyse à Condi Rice, lors d’un entretien le 14 octobre 2005 : « Le régime syrien est plus déstabilisé qu’il n’y paraît et plus fragile qu’on ne le croit, estime-t-il. L’opinion publique syrienne se pose de plus en plus de questions sur l’attitude de ses gouvernants (…) Si Assad se sent menacé, il recourra à la violence terroriste. C’est dans la culture alaouite. La situation était la même du temps de son père, à ceci près que celui-ci était plus intelligent et plus expérimenté. Tout cela durera autant que le régime. Il faut qu’il s’effondre. Mais tout seul. »

Jacques Chirac pronostique – et souhaite – cette chute. Mais il se trompe sur la fragilité du régime, qui va encore tenir 19 ans, à force de guerres, de répression et de violences.

Voir le récit complet et plus de détails dans « Dans le secret des présidents », Vincent Nouzille, Fayard-LLL, 2010. Pluriel 2012.

6
Déc
2024
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Rencontre avec Kamel Daoud, prix Goncourt pour « Houris »

Le 5 décembre, j’ai eu la chance de pouvoir animer une rencontre grand pubic avec Kamel Daoud, écrivain franco-algérien, prix Goncourt pour son formidable roman « Houris » paru chez Gallimard. Plus de 500 personnes sont venues assister à ce moment inoubliable, organisé à l’initiative de la Librairie de la place aux herbes, à Uzès, sa directrice Caroline Perez et ses équipes, et l’appui de la Communauté de communes du pays d’Uzès, qui met, chaque mois, la salle de l’Ombrière, à la disposition de la librairie pour un événement littéraire.

On se présente plus Kamel Daoud, sauf pour rappeler qu’il a été longtemps journaliste et chroniqueur au Quotidien d’Oran, et qu’il est essayiste et chroniqueur au Point depuis 2014. Ses premiers livres ont marqué les esprits, avec son roman « Meursault, contre-enquête », récit du frère de l’arabe anonyme, nommé Moussa, tué sur une plage par le héros du livre « L’étranger « d’Albert Camus. Ce livre, publié en 2013 en Algérie et en 2014 chez Actes Sud, a reçu l’année suivante le prix Goncourt du premier roman. Puis, il y a eu « Zabor ou les psaumes », histoire d’un jeune garçon qui tente d’éloigner la mort par les livres, avec le prix Méditerranée en 2018. Egaement en 2018, Le « Peintre dévorant la femme », un essai sur une nuit au musée Picasso

Enfin, c’est le plus récent, paru en août dernier, « Houris », un véritable coup de poing et coup de maître, qui a reçu le prix Goncourt le 4 novembre. Un livre puissant, magistral, violent, poétique et dérangeant.

C’est le conte des mille et nuits tragiques de l’Algérie, une ode à la mémoire et à la vie, à travers la voix intérieure d’Aube, une femme muette depuis un égorgement, qui parle à son enfant à naître, nommée HOURI (ces femmes promises au paradis), de l’enfer de la guerre civile des années 90 en Algérie.

Ce livre a, selon le Figaro, « la force d’un oued en crue après un terrible orage nommé guerre civile ». France inter en a parlé comme d’un « texte indispensable sur les violences des hommes contre les femmes, sur la mémoire et l’oubli et sur les ravages de l’islamisme en Algérie ». L’académie Goncourt a salué : « un livre où le lyrisme le dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l’Algérie, celles des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace aux côtés du récit historique d’un peuple, un autre chemin de mémoire »

Par la force de son récit, « Houris » aborde de front le sujet tabou de l’Algérie, puisque l’histoire, la mémoire, les victimes de la guerre civile , qui pris près de 200 000 vies, sont des sujets interdits. Le livre cite l’article 46 de la loi de réconciliation nationale votée en Algérie en 2005, qui punit de 3 à 5 ans de prison et d’une amende de 250 000 à 500 000 dinars quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, « utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. »

Courageux, Kamel Daoud jette un pavé dans la mare. Victime depuis des années d’une fatwa, puis de pressions, il a du fuir l’Algérie en secret en août 2023, redoutant un emprisonnement. Depuis la parution de son livre, il fait l’objet d’une campagne de calomnies, de diffamation et de déstabilisation. Dans le Point du 5 décembre, il dit : « c’est l’histoire d’une guerre qui m’est faite pour avoir brisé un tabou ». Son roman est interdit en Algérie. Son éditeur Gallimard a été banni au Salon du livre d’Alger. Le témoignage d’une femme, Saada Arbane, qui l’accuse de s’être inspirée de son histoire, a surgi pour attaquer, non pas ses égorgeurs, mais l’écrivain, alors que celui-ci fait œuvre de fiction sur la tragédie d’un peuple.

Il n’est pas le seul visé. Des campagnes similaires ont ciblé la maison d’édition Koukou dont certains livres sont bannis et dont des auteurs, comme Dominique Martre, ont été interpellés par la police en juin. Elles visent l’écrivaine algérienne Inaam Bayoud, pour son roman Houaria, victime d’un lynchage médiatique, qui a contraint sa maison d’édition MIM à fermer ses portes. Elles visent l’écrivaine algérienne Hédia Benshali, dont le livre « L’Algérie juive, l’autre moi que je connais si peu », fait l’objet d’une censure. Ces campagnes visent très récemment l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui a été arrêté à son arrivée en Algérie le 26 novembre et qui risque une lourde condamnation

A la question que je lui ai posée « peut-on aujourd’hui être « algérien et écrivain ? », Kamel Daoud a répondu, avec une pointe d’ironie : « ce sont deux métiers très différents ». Il a écrit quelques jours plus tôt: « J’écris. Suis-je certain de ce droit? Suis-je prêt à assumer les conséquences, peut-être fatales, de mon écriture? »

Exilé, diffamé, Kamel Daoud savait que la récompense du Goncourt aurait un « prix », mais la pression est forte. Venu à Uzès, il a remercié le public venu le saluer, l’écouter et le soutenir. Il a rappelé, en faisant référence à Albert Camus, qu’il nous faut résister à la tyrannie et rester modeste, et à hauteur d’hommes, pour comprendre la complexité du monde.

29
Nov
2024
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Rencontre avec Anne Poiret, réalisatrice du film « Les enfants de Daech »

Les 27 et 28 novembre, j’ai vécu des moments forts à  Uzès à la Librairie de la place aux herbes, puis au lycée Charles Gide avec des lycéens de terminale, puisque j’ai pu animer et accompagner Anne Poiret pour des rencontres très riches sur son métier et son dernier livre, une BD sur un ancien soldat de Daech.

Formée à Paris, puis à New York, Anne Poiret a débuté sa carrière de journaliste auprès de plusieurs rédactions, comme C dans l’air, Envoyé Spécial, Arte reportages, Le Monde en face. En 2007 elle reçoît, avec ses collègues Gwenlaouen Le Guouil et Fabrice Launay, le prestigieux prix Albert Londres, pour « Muttur, un crime contre l’humanitaire », massacre de 17 travailleurs de l’ONG Action contre la faim, au Sri Lanka, qui a eu lieu le 4 août 2006.

En 2011, elle documente, avec Florence Martin-Kessler « la fabrique d’un État » (Arte), en l’occurrence le Soudan du Sud, après une guerre civile, en suivant Lisa Grande, représentante de l’ONU et Riek Machar, vice président de ce nouveau pays.  Puis, elle s’intéresse à un autre crime oublié : le génocide des peuples Hereros et des Namas en Namibie au début du XXème siècle, commis dans ce qui était une colonie allemande. Elle enchaîne ensuite films engagés, sur les épidémies, sur les réfugiés, sur le Cachemire, sur la Libye, sur la Syrie, et en 2018 film choc qui s’intitule « Mon pays fabrique des armes », où elle raconte en détail comment la France est devenue l’un des premiers exportateurs au monde de vente d’armes et l’omerta que cela implique, notamment avec certains pays comme l’Arabie Saoudite et l’Egypte.

En 2019, Anne Poiret réalise d’abord un premier documentaire sur Mossoul, grande ville d’Irak, tombée entre les mains de Daech et libérée en 2017. Avant d’entreprendre son documentaire phare « Enfants de Daech, les damnés de la guerre », pour France 5 diffusé en 2021. Ce film, impressionnant, raconte le destin tragique de d’enfants de Daech, d’anciens jeunes recrues abandonnés à leur propre sort, sans papiers légaux. Ce film est poignant aussi sur le sort des jeunes femmes, enrôlées comme esclaves, et qui doivent abandonner leurs enfants nés de combattants, car les yézidis n’en veulent plus.

Ce documentaire, diffusé en mai 2021 sur France 5, est par le prix du public du Figra 2022, et au plan international avec le prix du meilleur documentaire des International Emmy Awards le 21 novembre 2022 à New York.

C’est dans ce cadre qu’elle rencontre un jeune Yezidi enrôlé de force à 10 ans dans les rangs de Daech, appelé Mahar, dont l’histoire incroyable est racontée dans une BD « Mahar le Lionceau », cosignée en 2024 chez Delcourt, avec le dessinateur danois Lors Horneman.

Anne Poiret a une expérience inégalée des pays en guerre, et surtout des « après-guerre », sujets auxquels elle se consacre via sa société de production After War. Les après-guerre sont souvent moins traités dans les médias que les guerres elles-mêmes, alors qu’elles sont parfois plus dangereuses. Ce sont autant de témoignages et de constats sur la résilience, la mémoire, les disparus, la justice, les reconstructions, les exilés et les destins d’anciens soldats.

 

21
Sep
2024
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Bipers piégés et assassinats ciblés: le Mossad revient en force

Avec l’explosion concomitante de quelques 3000 bipers piégés au Liban le 17 septembre, suivie de celle de centaines de talkies-walkies le lendemain, Israël a provoqué une vague de panique au Liban et parmi les forces du Hezbollah, visées par cette campagne inédite de terreur. Le bilan est terrifiant, avec au moins 37 morts (chiffre probablement sous-évalué) et plus de 3500 blessés. Certes, officiellement, les autorités israéliennes ne revendiquent pas ces opérations. Mais leur silence – et des fuites via des sources autorisées, notamment aux États-Unis – vaut signature. En l’occurrence celle du Mossad, les services secrets extérieurs, qui signent là un retour en force aussi spectaculaire que dangereux.

Dirigé depuis mi-2021 par David Barnea, un pur produit de la maison, expert des technologies et des opérations spéciales, qui avait pris la suite du proche de Netanyahou Yossi Cohen, le Mossad a été profondément déstabilisé par les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, qu’il a été incapable de voir venir. Certes, il n’est pas le seul à porter la responsabilité de cette faillite majeure du renseignement israélien, car le Aman (renseignement militaire) et le Shin Beth (sécurité intérieure) ont été aussi aveugles que lui. Mais le Mossad est censé être le détecteur des menaces venues de l’extérieur. Le Hamas l’a humilié.

Depuis lors, parallèlement aux vastes opérations militaires lancées contre le Hamas par Tsahal dans la bande de Gaza, sous les ordres du gouvernement de Netanyahou et de sa coalition avec l’extrême droite israélienne, les opérations clandestines ont été démultipliées. Principalement par la méthode des assassinats ciblés, l’une des armes favorites des services israéliens, qui est sans doute l’État qui en a mené le plus depuis la deuxième guerre mondiale, si l’on en croit le journaliste Ronen Bergman, auteur d’un ouvrage de référence sur ce sujet « Lève toi et tue le premier » (Grasset, 2020; édition originale « Rise and kill first« ), que j’avais chroniqué (ici) lors de sa sortie.

Ces assassinats ciblés ont été menés contre des cibles du Hamas, notamment l’élimination de Saleh Al Arouri, N°2 de la branche politique, le 3 janvier 2024 à Beyrouth, et celle d’Ismaël Haniyeh, le leader de la branche politique, le 31 juillet dernier à Téhéran. D’autres personnalités importantes de l’axe de résistance ont été tuées, comme le général iranien Razi Moussavi, frappé en Syrie le 25 décembre 2023, faisant suite au missile qui avait éliminé en Irak en 2020 le général Qassem Soleimani, grand patron de la force Al-Qods des Psadarans iraniens.

De plus, les Israéliens ont, depuis longtemps, les leaders du Hezbollah, la milice pro-iranienne puissante au Liban, dans le collimateur. Après le 7 octobre, le Hezbollah a multiplié les tirs et frappes sur le nord d’Israël, provoquant le déplacement de 70 000 israéliens, ce qui a conduit Tsahal a des répliques et bombardements. Et à des tirs ciblés visant plusieurs chefs militaires importants: en janvier, Wissam Tawil (patron de l’unité Radwan, force d’élite du Hezbollah) a été tué, suivi de deux commandants des secteurs du sud Liba, Taleb Abdallah, le 11 juin 2024, et Mohammed Nasser, le 3 juillet. Les Israéliens ont frappé un grand coup le 30 juillet en éliminant Fouad Chokr, le N°1 de la branche militaire du Hezbollah, considéré comme l’un des participants à l’attentat du 23 octobre 1983 contre le camp militaire américain à Beyrouth, qui avait tué 241 GI’s. Il s’agissait pourtant moins d’une vengeance du passé que d’une élimination visant à affaiblir les capacités offensives du Hezbollah, qui se sont largement renforcées ces dernières années.

Dans la foulée des bipers piégés, le 20 septembre, plusieurs autres chefs militaires ont été ciblés par des missiles israéliens à Beyrouth, dont Ibrahim Aquil (photo), qui avait pris la successions de Tawil à la tête de la force Radwan, et qui était également recherché par les Américains pour des attentats à Beyrouth de 1983.

 

Mais le Mossad a aussi mis au point son opération sur les bipers et talkies piégés, laquelle change l’échelle et la nature des opérations clandestines. Car c’est bien une opération de guerre de grande ampleur, d’assassinats ciblés en série, sans se soucier des dommages collatéraux, qui a été déclenchée le 17 septembre, après un message sur les bipers. Le Mossad avait déjà mis des explosifs dans des téléphones, comme lors de l’attentat contre Mahmoud Hamshari, représentant de l’OLP à Paris, le 2 décembre 1972, qui faisait suite à l’assassinat des athlètes israéliens aux JO de Munich. Ou en 1996 pour tuer Yahia Ayyash, artificier du Hamas, avec un téléphone piégé.

Cette opération « bipers » est plus complexe et ambitieuse, à l’image de la longue opération de piratage informatique des centrifugeuses de la centrale iranienne de Natanz en 2004, avec un virus, appelé Stuxnet, longtemps indétectable, ou du vol spectaculaire de 50 000 documents du programme nucléaire iranien à Téhéran en 2018. Cette fois-ci, le but n’est pas de ralentir le fonctionnement d’une usine ou de récupérer des documents, mais bien de faire sauter des milliers d’engins, pour provoquer une panique et paralyser le Hezbollah.  Elle a nécessité des années de préparation et d’infiltration, notamment via des sociétés-écrans en Hongrie – comme l’a révélé le New York Times, de manière à inciter le Hezbollah à ne plus utiliser les téléphones et lui livrer, à son insu, des bipers et talkies-walkies piégés, destinés à être déclenchés à un moment jugé opportun.

Le moment choisi est d’autant plus risqué que la tension est déjà extrême entre le Hezbollah et Israël, qui ne cache pas ses intentions de mener, après l’offensive à Gaza, une guerre contre l’organisation chiite, laquelle ne masque pas non plus ses intentions belliqueuses. Certes, le Hezbollah s’en trouve profondément affaibli, ne pouvant plus communiquer que par des moyens qui risquent, eux aussi, d’être surveillés, et sans doute incapable, malgré la rhétorique de vengeance du cheikh Nasrallah, chef du Hezbollah, lors de son discours du 19 septembre, de lancer une grande action militaire contre Israël. Mais, en franchissant une étape supplémentaire dans la guerre, Israël expose aussi le pays à une escalade de plus en plus incontrôlable.

J’ai pu évoqué ce sujet, ces derniers jours, sur les antennes de RTL, sur la plateau de Quotidien (TMC) et sur LCI. Des interventions à retrouver pour tout ou partie ici.

RTL Matin (19/9): voir un extrait là

Quotidien (19/9): voir le replay ici (mon intervention à 20′ de la 1ere partie)

Post scriptum: Pour mémoire, la France n’est pas restée inactive après l’attentat de Beyrouth du 23 octobre 1983, qui avait tué 58 soldats français dans l’immeuble du Drakkar, le jour même où un autre attentat visait le QG des Marines américains à Beyrouth. J’ai raconté en détail le contre-attentat – raté – organisé, à la demande de François Mitterrand, par un commando du Service Action de la DGSE contre  l’ambassade d’Iran à Beyrouth, dans la nuit du 6 au 7 novembre 1983. Puis la frappe militaire – elle aussi en partie ratée – sur la caserne Abdallah le 17 novembre 1983. Et également la traque du principal commanditaire présumé des attentats anti-américains et anti-français, Imad Mugnieh, chef de l’unité militaire du Hezbollah, finalement tué par le Mossad et la CIA le 12 février 2008 à Damas. Voir mon livre « Les tueurs de la République » et la série docu du même titre pour Canal+/Planète dont le 1er épisode « Vengeances d’Etat » raconte ces épisodes.

 

10
Avr
2024
0

Quand la DGSE assume l’élimination de Belmokhtar

Peu de spectateurs et d’observateurs l’ont remarqué : dans le documentaire « DGSE, la fabrique des agents secrets », diffusé le 9 avril sur France 2 (voir le replay ici) signé de Jean-Christophe Notin et de Théo Ivanez, le service livre une information qui n’était, jusque-là, pas officielle : la DGSE assume avoir fourni les renseignements ayant permis la frappe ciblée qui a tué fin 2016 l’un des leaders djihadistes au Sahel, l’algérien Mokhtar Belmokhtar, surnommé « Le Borgne » ou « le Ben Laden du Sahara ».

Devant la caméra, l’un des responsables du contre-terrorisme au sein de la DGSE explique que la traque de certains commanditaires peut prendre des années et que Belmokhtar a bien été éliminé grâce à l’action du service – « un résultat opérationnel majeur » dit-il-, de même que d’autres chefs d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), comme Abdelmalek Droukdel en 2019 ou Yahia Djouadi en 2022.

Cette frappe ciblée contre Belmokhtar de 2016 est mise en lien, dans le documentaire, avec l’assassinat de quatre Français en Mauritanie le 24 décembre 2007. Comme un de ses agents le raconte dans le film, la DGSE avait suivi et interpellé en Guinée-Bissau les trois auteurs présumés de cet attentat, avant de les remettre à la justice mauritanienne, et d’en rattraper un qui s’était évadé. Mais la traque du commanditaire présumé, Mokhtar Belmokthar, vétéran du GIA algérien, devenu un des leaders de la nouvelle Al Qaïda au Mahgreb islamique (AQMI) aurait pris, quant à elle, 9 ans.

En réalité, cette histoire, jusqu’à la mort de Belmokthar après un raid aérien français en Libye, que j’avais pu raconter en détail dans mon livre « Les tueurs de la République » est plus complexe.

Après la remise des trois auteurs présumés de l’attentat du 24 décembre 2007 à la justice mauritanienne, la DGSE a d’abord fait annuler, en janvier 2008, le rallye Paris-Dakar, qu’elle savait menacée. Puis, elle a participé à des opérations clandestines visant à éliminer d’autres djihadistes qui préparaient des attentats en Afrique, que ce soit en Mauritanie, au Mali, au Niger et ailleurs.

Malheureusement, Mokhtar Belmokthar a réussi à organiser de nombreuses autres opérations terroristes qui ont tué des Français, avant d’être lui-même ciblé fin 2016. Pour l’anecdote, il avait failli être éliminé plusieurs fois avant 2007: notamment fin 1999, quand Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient refusé un possible raid français sur son camp, ou en 2004 quand les Américains avaient renoncé à une frappe ciblée sur lui.

Outre l’assassinat des quatre Français en Mauritanie fin 2007, les attentats qui sont imputés à Belmokhtar et ses équipes (au sein d’Aqmi; puis, après en avoir été évincé en 2012, de son groupe dissident « Les signataires par le sang », qu’il a fusionné mi-2013 avec d’autres rebelles au sein du groupe « Al-Morabitoune ») sont les suivants:

-L’enlèvement de deux Français, Antoine de Léocour et Vincent Delory, le 7 janvier 2011, dans un restaurant de Niamey  au Niger (les deux otages sont morts lors d’un assaut des forces spéciales françaises pour tenter de les sauver)

L’attaque du complexe gazier d’In Amenas en Algérie le 16 janvier 2013, où 38 civils ont péri, dont le Français Yann Desjeux.

-Des attentats-suicides à Arlit et Agades en mai 2013 au Niger,

-L’assaut contre une unité de l’armée française près de Gao, au Mali, le 14 juillet 2014, qui a tué un légionnaire et blessé six soldats.

La traque de Belmokhtar et de ses lieutenants était alors devenue, comme je le raconte, l’une des priorités de la DGSE et de l’état-major des armées, avec l’aval de François Hollande. Avec des résultats: son bras droit Abou Moghren al Tounsi, est tué fin septembre 2013 ; son fidèle Fayçal Boussemane et son gendre al‐Hassan Ould al‐Khalil, en novembre 2013 ; son beau‐père, Omar Ould Hamaha, dit « Barbe rouge », en mars 2014 ; Abou Bakr al‐Nasr, dit «l’Égyptien », spécialiste des armes, en avril 2014 ; son bras droit Ahmed al Tilemsi en décembre 2014.

Mais Belmokhtar, qui s’est refugié en Libye, restait alors introuvable. Il s’est rapproché des responsables de l’Etat islamique en Libye. Il fait partie des HVT (High value targets), cibles prioritaires partagées avec les Américains. En juin 2015, des F15 américains partis d’une base britannique frappent un endroit où il a été repéré près de la ville pétrolière d’Ajbadiya, en Libye. Mais « le Borgne » semble en réchapper.

La DGSE poursuit sa quête de renseignements. Elle finit par le localiser dans l’oasis d’Al-Brak, près de Shebha, à plusieurs centaines de km de Tripoli, début novembre 2016. Des risques de dommages collatéraux dans des maisons voisines retardent l’opération. François Hollande donne finalement son feu vert une semaine plus tard, lorsque les conditions sont réunies. Dans la nuit du 14 au 15 novembre 2016, deux Rafale partis de Mont-de-Marsan, aidés par un drone américain de reconnaissance, larguent deux bombes sur le bâtiment, comme le rapporte alors la lettre spécialisée TTU. Le Pentagone laisse entendre que cette fois-ci, Belmokhtar est bien mort. La rumeur enfle. Mais les autorités françaises, par prudence ou calcul, refusent de confirmer cette frappe ciblée et la mort de cet ennemi. « Nous sommes sûrs de l’avoir éliminé » me confie pourtant plusieurs sources, dont un haut responsable du renseignement, ce qui me permet de l’écrire.

Dans son livre « Les leçons du pouvoir », paru en 2018, François Hollande a évoqué ce raid secret qu’il a lui-même décidé, mais sans nommer Belmokhtar: « Autant qu’il a pu, il a tué ou fait tuer des Français […] depuis ce jour [de la frappe ciblée], il n’est jamais réapparu », écrit-il.

Après François Hollande, la DGSE assume aujourd’hui cet assassinat ciblé, ainsi que d’autres éliminations, qui ne sont pas, officiellement, des « vengeances d’État », mais qui y ressemblent tout de même…

Plus de détails et de récits sur ces assassinats et frappes ciblées dans « Les tueurs de la République » nouvelle édition augmentée 2020, en poche chez J’ai Lu en 2022.

Et aussi l’épisode 3 de la série documentaire « Les tueurs de la République », titré « coup pour coup ». A revoir sur le replay de Canal+/Planète +, film cosigné avec Damien Fleurette, 2023.

24
Mar
2024
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Échanges avec les lycées sur le terrorisme et la justice

Le 23 mars 2024, j’étais au lycée des Trois Sources à Bourg-lès-Valence, à l’invitation de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT), pour échanger avec des lycéens sur le thème « démocratie, justice, histoire, mémoire« , aux côtés de deux victimes des attentats du 13 novembre 2015: Nadia Mondeguer, qui a perdu sa fille Lamia à La Belle Équipe, et Aurélie Sylvestre, dont le compagnon a été tué au Bataclan, alors qu’elle était enceinte de leur deuxième enfant.

L’AFVT, avec Chantal Anglade, organise depuis des années ces rencontres éducatives entre victimes et lycéens, afin de leur faire prendre conscience de ces événements récents et entamer un dialogue sur le témoignage et la justice.

A Valence, les mots de Nadia et d’Aurélie ont suscité une multitude de questions sur leurs réactions, leur vie après les attentats, l’impossible deuil, la reconstruction, leur participation au procès, le pardon (notion dont elles se sentent éloignées) et bien d’autres thèmes.

Je n’étais présent que pour témoigner, en tant que journaliste et réalisateur, de ce qui s’est passé au procès de manière plus générale et expliquer comment j’ai pu, avec Jean-Baptiste Péretié, filmer et construire le documentaire sur le procès « 13 novembre, l’audience est levée » qui a été diffusé sur France 5 le 12 novembre 2023, sans images du procès lui-même. Nadia Mondeguer, que j’ai pu interwiewée pour le film à de nombreuses reprises avant, pendant et après le procès, a pu compléter le propos, ainsi qu’Aurélie Sylvestre, laquelle explique qu’elle ne souhaitait pas, au début, assister au procès mais qu’elle y est finalement venue presque tous les jours.

D’autres rencontres dans des lycées sont prévues dans les mois prochains avec l’AFVT, où je serai également présent.

En décembre et janvier 2023, j’étais également intervenu au lycée Charles Gide à Uzès, sur l’histoire des attentats et la fabrication de mes films récents sur le terrorisme et la justice.

Ces interventions faisaient suite à la venue, fin novembre, à Uzès, de Latifa Ibn Ziaten, qui a perdu son fils Imad, tué en mars 2012 par Mohammed Merah à Toulouse. Depuis lors, Latifa Ibn Ziaten, avec le soutien de sa fondation Imad, parcourt la France entière et délivre des messages de paix et de tolérance, de laïcité et des valeurs de la République. Une femme remarquable, courageuse, dont le témoignage, à chaque fois, marque ceux qui l’écoutent et qui échangent avec elle.