9
Fév
2025
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« L’assassin qu’il fallait sauver »: médias et premières suites judiciaires

La publication de notre livre « L’assassin qu’il fallait sauver, au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi » (Robert Laffont) a déjà provoqué des réactions et des commentaires dans les médias. Parmi elles:

-Des extraits parus sur le site Mediapart, titré: « Les plans secrets du terroriste Abdallah Senoussi, l’homme que Sarkozy voudrait faire oublier« . A retrouver ici pour les abonnés, ou ici en PDF Mediapart

-Une longue interview de Karl Laske et de moi, sur le site de l’Express, par Etienne Girard, titrée « Des attentats libyens à l’affaire Sarkozy: « les services secrets ont fait du hors-procédure ». A lire sur le site de l’Express ici, ou en PDF l’Express.

-Une interview pour Radio France International, réalisée par Christophe Boisbouvier, diffusée le 4 février dernier, titrée: « La justice française suspecte qu’il y a eu un deal secret« . A réécouter ici en version longue ou à lire partiellement ici RFI

-Une présentation du livre, par Franck Johannés, dans le Monde du 9 février, titrée « Plongée dans les archives secrètes d’Abdallah Senoussi, l’homme de confiance de Mouammar Kadhafi ». A lire sur le site du Monde ici, ou en PDF Le Monde 

 

 

 

Voici quelques commentaires dans ces articles

« Les deux journalistes dévoilent les ramifications d’une affaire d’Etat, où il est question de services secrets français, de marchandage et de gros billets »

« Un livre incroyable et glaçant qui détaille posément la préparation, les comptes rendus et les pedigrees des acteurs des principaux attentats »

« Un énorme travail soigneusement étayé par un appareil de notes dans la meilleure veine des enquêtes anglo-saxonnes »

Merci à tous! D’autres interviews et articles à venir…

 

Par ailleurs notre livre a également commencé à intéresser des autorités judiciaires. Il a d’abord été versé aux débats du procès de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, puisque certains des documents détaillés dans le livre, ont déjà nourri partiellement l’instruction: c’est le cas des compte-rendus libyen d’une réunion importante du 25 novembre 2005 entre des avocats français et des avocats de Senoussi, afin d’étudier comment régler le problème de la condamnation de Senoussi. Ce qui constitue un des éléments-clés de l’accusation concernant le présumé « pacte corruptif » noué entre l’équipe Sarkozy et les proches de Kadhafi.

De plus, de nombreux autres documents libyens que nous révélons dans le livre, totalement inédits, ajoutent de nouvelles pièces dans le vaste puzzle des enquêtes portant sur l’affaire dite de Lockerbie, l’attentat contre l’avion Pan Am 103, qui a tué 270 personnes le 21 décembre 1988, et celui de l’affaire de l’attentat contre le DC10 d’UTA, ayant tué 170 personnes le 19 septembre 1989.

De nouveaux documents et de nouveaux noms apparaissent, liés aux préparatifs de ces attentats. C’est la raison pour laquelle des familles des victimes de l’attentat du DC10 souhaiteraient réactiver l’enquête sur cette affaire en France, sur la base des documents que nous publions. C’est aussi pourquoi les justice américaine et écossaise ont déjà manifesté leur intérêt pour le livre, principalement dans le cadre de la préparation du procès de l’artificier présumé de l’affaire Pan Am, appelé Masud, qui doit se tenir aux États-Unis d’ici quelques mois.

Suite à un contact avec le bureau de la procureure générale d’Ecosse, j’ai d’ailleurs été questionné ces jours derniers par les responsables de la police écossaise en charge de l’enquête sur Lockerbie, qui reste donc toujours ouverte. Ils s’intéressent à plusieurs documents inédits de notre livre. Une fois les indispensables vérifications faites, ces documents seraient susceptibles d’apporter de nouveaux éléments à la justice et aux familles des victimes… plus de 36 ans après cette tragédie. A suivre….

 

27
Jan
2025
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Virginia Hall, l’espionne oubliée, revit devant des lycéens

Expérience émouvante : à Saint-Etienne, devant près de 200 lycéens et collégiens, le 24 janvier, j’ai pu raconter l’histoire de Virginia Hall, cette espionne américaine oubliée, héroïne de la IIème guerre mondiale, qui participa à la résistance et à a Libération de la France.

A l’occasion des commémorations des 80 ans des débarquements et de la Libération, les rectorats de la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec le consulat américain à Lyon, m’ont convié, ces derniers mois, à retracer l’itinéraire de cette Américaine, qui a œuvré de 1940 à 1945, dans notre pays. La biographie de « L’espionne Virginia Hall, une américaine dans la guerre » (Fayard, 2007, voir la présentation ici) que j’ai rédigée il y a de cela pas mal d’années, me sert de base à ces conférences devant des publics scolaires. Cela a commencé en octobre 2024 devant des professeurs d’histoire de l’académie de Clermont-Ferrand, puis en décembre aux archives départementales du Rhône, avec une centaine d’enseignants du rectorat de Lyon. Les profs initient parallèlement des projets dans leurs lycées respectifs, dans le cadre du Concours national de la résistance et la déportation, qui a pour thème, durant cette année 2024-2025 : « Libérer et refonder la France (1943-1945) ». Les lycéens peuvent préparer des projets personnels ou collectifs sur ce thème, en se basant sur des personnages impliqués dans cette période. Les résultats du Concours national seront rendus publics en juin prochain.

Pour ma part, après deux exposés avec des profs, je me suis rendu au lycée Jean-Monnet de Saint-Etienne, qui dispose d’une section internationale et d’une section audiovisuelle, qui m’ont accueilli à bras ouverts. Environ 70 lycéens m’ont écouté en présentiel, et ma conférence était captée et retransmise à plus 120 élèves d’une dizaine de collèges et de lycées du rectorat de Lyon.

J’ai ainsi pu narrer le parcours atypique de Virginia Hall : née à Baltimore, cette jeune femme polyglotte, secrétaire dans les ambassades américaines en Europe, se destinait avant la guerre à une carrière de diplomate, mais elle en fut empêchée du fait son statut de femme et son handicap (elle avait été amputée de la jambe gauche après un accident de chasse en Turquie en 1931). Démissionnant du département d’Etat en 1939, elle a rejoint la France et s’est engagée dans l’armée française comme ambulancière en 1940, avant d’être recrutée par les services secrets britanniques (SOE) en 1941. Elle fut la première femme envoyée pour une mission de longue durée en France.

Arrivant à Vichy et Lyon en septembre 1941 avec la couverture de journaliste américaine, Virginia Hall devint, jusqu’à son départ précipité fin 1942, le principal atout du SOE en France, aidant la résistance lyonnaise et bien au-delà. Trahie par agent double et pourchassée par Klaus Barbie qui la considérait comme « l’agent allié le plus dangereux », Virginia Hall franchit secrètement à pied les Pyrénées fin 1942 dans des conditions éprouvantes, pour revenir finalement à Londres après un séjour dans les prisons espagnoles. Bien que grillée en France, elle revint dans l’hexagone en mars 1944, avec l’appui de l’OSS (services américains) et une valise radio, afin d’aider les résistants et les maquisards à s’armer et libérer leurs territoires. Son aide fut essentielle pour libérer le Cher, la Nièvre et la Haute-Loire (voir l’article du Progrès de Haute-Loire de l’été dernier ici Virginia Hall le progrès) jusqu’en septembre 1944. Elle continua ensuite de s’activer pour préparer d’autres missions pour l’OSS jusqu’en mai 1945.

Indomptable, amoureuse de la France, farouchement libre, Virginia Hall échappa à toutes les arrestations et vécut dans le Maryland, dans jamais rien dire de ses exploits, jusqu’à son décès en 1982.

C’est ce destin méconnu que j’ai raconté en détail aux élèves, après l’avoir fait dans mon livre, sur la base de milliers de pages d’archives des services secrets que j’ai dénichées au Royaume-Uni et aux USA, ainsi que de documents du Centre d’histoire de la résistance et de la déportation de Lyon et des témoignages. Et les lycéens m’ont posé beaucoup de questions sur ses missions et son caractère ! Merci à eux et à tous ceux qui ont organisé ces conférences.

La télévision TL7 était sur place à Saint-Etienne et a diffusé ce sujet sur mon intervention.

 

22
Jan
2025
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Pourquoi les familles des victimes du DC10 d’UTA réclament justice au procès de l’affaire Sarkozy-Kadhafi

Read this article Why DC10 families are demanding justice

« Une dinguerie ! » C’est avec ces mots directs que Danièle Klein (voir photo ci-dessus) commente le procès des financements libyens auquel elle assiste depuis le premier jour le 6 janvier dernier. Regard clair, voix posée, Danièle Klein, qui va témoigner à la barre, n’y vient pas par hasard. Son frère Jean-Pierre est décédé le 19 septembre 1989 dans l’attentat contre le DC10 d’UTA, qui a tué au total 170 passagers et membres de l’équipage. Or le cerveau de cet attentat, le libyen Abdallah Senoussi, est au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, qui fait l’objet du procès en cours au tribunal correctionnel de Paris.

Après plusieurs années d’enquête, le juge Jean-Louis Bruguière avait, en effet, remonté la piste des exécutants et responsables de cet attentat, qui se situait au cœur des services secrets libyens, dirigés par Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et responsable de ses basses œuvres. Six agent libyens, dont Senoussi, ont été condamnés par contumace, à la perpétuité, par une cour d’assises spéciale en mars 1999. Des mandats d’arrêt internationaux ont alors été délivrés par la France contre ces terroristes.

Or, après cette condamnation, le pouvoir libyen, Kadhafi en tête, a tout fait pour obtenir l’impunité judiciaire pour Senoussi, qui était un des plus hauts dirigeants du régime. Le sujet a été abordé dès 2003 lors des négociations sur les indemnisations des familles des victimes, qui se sont conclues en janvier 2004. Kadhafi en a reparlé au président Chirac lors sa venue à Tripoli en novembre 2004.

Mais c’est surtout avec l’équipe de Nicolas Sarkozy que le sujet a été remis sur la table fin 2005 dans des conditions les plus controversées. A deux reprises, Senoussi – pourtant persona non grata pour les Français, à cause de sa condamnation – a rencontré secrètement ses proches de Sarkozy : Claude Guéant, son directeur de cabinet, et Brice Hortefeux, ministre délégué et fidèle d’entre les fidèles. Les deux hommes plaident le « guet-apens », mais l’argument est jugé peu crédible par le parquet, parce qu’ils n’en ont fait aucunement état à leur retour, ni fourni durant l’instruction d’explications plausibles sur les conditions de ces entretiens secrets, organisés par l’entremise de l’intermédiaire sulfureux Ziad Takieddine.

Selon les juges ayant mené l’instruction, un pacte de corruption aurait alors été noué : de l’argent pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en échange de l’impunité judiciaire promise à Senoussi. Kadhafi a d’ailleurs évoqué la situation pénale de son beau-frère devant Sarkozy, venu en visite officielle à Tripoli le 6 octobre 2005.

Quelques semaines plus tard, le 25 novembre 2005, l’avocat ami de Sarkozy, Thierry Herzog, accompagné de son confrère Francis Szpiner (ce dernier conteste ce fait) se sont rendus en Libye pour discuter avec les avocats de Senoussi des options possibles pour faire tomber cette condamnation à perpétuité. La justice dispose, en l’occurrence, du compte-rendu libyen de cette réunion, qui provient des archives de Senoussi lui-même. Ce document, transmis à la justice en 2018 et attesté par l’avocate libyenne Azza Maghur, qui assistait à cette réunion, fait partie des documents des archives de Senoussi que Karl Laske et moi déatillons et révélons dans le livre « L’assassin qu’il fallait sauver », publié ces jours derniers chez Robert Laffont.

D’autres documents de l’instruction viennent étayer l’hypothèse selon laquelle l’équipe Sarko a continué de s’occuper du dossier Senoussi au moins jusqu’en mai 2009, notamment des échanges entre Senoussi et Herzog, et une note sur une réunion à l’Elysée entre Claude Guéant, secrétaire général, et Ziad Takieddine, proche de Senoussi. A la barre du tribunal, ces jours derniers, Claude Guéant s’est défendu de toute intervention dans cette affaire, mais il a confirmé qu’il s’agissait, lors de ce rendez-vous avec Takieddine en mai 2009, de « clore » le dossier Senoussi. Ce qui démontre qu’il était « ouvert » au moins jusque-là.

Pour Danièle Klein et plusieurs autres membres des familles des victimes du DC10 d’UTA, ces discussions des proches de Sarkozy pour blanchir Senoussi, l’assassin de leurs proches, constitue bien une « dinguerie », un affront, pire une trahison. Derrière les soupçons de corruption et de financement illégal de ce dossier, il y a ce attentat meurtrier que l’on voulait effacer, cet assassin qu’il fallait sauver.

Plusieurs dizaines de membres des familles des victimes du DC10 d’UTA se sont constituées parties civiles dans le procès en cours sur les financements libyens. Certains vont témoigner à la barre jeudi 23 janvier de leur parcours et de leur demande de justice.

 

PS : Le mandat d’arrêt international à l’encontre d’Abdallah Senoussi est toujours actif. Rien n’empêcherait la France de demander à nouveau à la Libye son extradition afin qu’il puisse à nouveau être jugé. D’autant que de nouveaux documents, que nous publions dans notre livre, notamment sur l’affaire du DC1O d’UTA – et aussi celle de l’attentat de Lockerbie, qui a tué 270 personnes le 21 décembre 1988 – fournissent des révélations et de nouveaux noms, qui peuvent intéresser les magistrats. Tous les documents et détails dans notre livre.

14
Jan
2025
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Quand Kadhafi offrait ses condoléances aux familles des «innocents passagers » du DC10 d’UTA

Le cynisme de Kadhafi n’avait aucune limite. Des archives inédites, libyennes et françaises, que Karl Laske et moi dévoilons dans notre livre « L’assassin qu’il fallait sauver », sorti ces jours-ci chez Robert Laffont, en apportent plusieurs preuves flagrantes.

[read this article in english here:Gaddafi’s condolences to families of innocent victims in DC10 case ]

Alors que, comme nous le révélons, son beau-frère et chef des services secrets Abdallah Senoussi a préparé minutieusement l’attentat qui a fait exploser le DC10 d’UTA au-dessus du désert du Ténéré (Niger) le 19 septembre 1989, provoquant la mort de 170 personnes, le dictateur libyen prend sa plus belle plume quelques jours tard pour présenter ses condoléances « les plus sincères » aux familles des « innocents passagers » morts dans ce qu’il appelle un « accident ». Ce message inédit (voir détail ci-dessous) que nous avons déniché dans les archives du Quai d’Orsay, est transmis le 25 septembre 1989 au président François Mitterrand par l’intermédiaire du représentant à Paris du Bureau populaire de la grande Jamahiryia libyenne populaire et socialiste. Kadhafi y écrit :

« Monsieur le président,

Nous avons appris avec tristesse e émotion la nouvelle de l’accident de l’avion civil français qi a coûté la vie à ses innocent passagers. Je vous adresse personnellement ainsi qu’aux familles des victimes les condoléances les plus sincères. Colonel Mouammar Khadafi. »

 

En termes de « sincérité », le dictateur, responsable du terrorisme d’Etat libyen qui a fait des centaines de morts dans les années 70 et 80 se pose en curieux champion !

Et ce n’est pas tout. Dès le surlendemain de l’attentat, alors que les enquêteurs français nagent en plein brouillard pour trouver une piste permettant d’identifier les coupables de cette tuerie de masse, des officiels libyens font passer des messages à des diplomates français à Tripoli visant à démontrer leur bonne volonté et à orienter l’enquête vers… le Mossad israélien. Dans un télégramme daté du 21 septembre 1989 (voir extrait ci-dessous) issu des archives diplomatiques françaises, Pierre Blouin, l’ambassadeur de France à Tripoli écrit : « Depuis la catastrophe aérienne du 19 septembre, les autorités libyennes multiplient les signaux pour se disculper de toute implication dans la destruction de l’appareil d’UTA », notamment en ayant autorisé le survol de leur territoire pour les avions français chargés des recherches des débris de l’appareil dans le désert. Le diplomate ajoute : « L’un des mes collaborateurs a été approché par des libyens chargés de lui faire savoir que leur pays n’était pour rien dans cette affaire e qu’il convenait d’en rechercher les coupables du côté des services israéliens ».

L’ambassadeur poursuit : « Ce zèle n’a évidemment aucune valeur probante, mais il est évident que la Libye doit être considérée comme innocente de toute responsabilité dans ce drame aussi longtemps que la preuve du contraire n’aura pas été apportée. A cet égard, je déplore que certains médias – et notamment des journalistes de radio France International – se soient crus autorisés à commenter l’implication de la Libye dans ce qui pourrait être un attentat terroriste ».

Les journalistes, en l’occurrence, avaient raison, avec beaucoup d’avance. Mais le Quai d’Orsay ne voulait pas croire à la duplicité libyenne. Durant des années, ses responsables auront même du mal à se convaincre, comme nous le racontons dans le livre, qu’il s’agissait réellement d’un attentat commandité par Kadhafi et organisé par Senoussi.

A l’égard des Américains, le cynisme libyen sera équivalent dans l’affaire de l’avion Pan Am, détruit le 21 décembre 1988 au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, avec 270 morts à la clé. Lorsque les enquêtes américaines et écossaises conduisent à l’inculpation de deux agents libyens, mi-novembre 1991, Kadhafi est prêt à tout, là encore, pour tromper ses interlocuteurs occidentaux. Il fait alors semblant d’écarter Abdallah Senoussi de la tête des services secrets, en annonçant la nomination d’un nouveau patron des services, le colonel Youssef El Dibri, ce qui ne constitue qu’une diversion, Senoussi restant aux mannettes. Et surtout, Kadhafi envoie, le 17 décembre 1991, un message secret au président américain Georges Bush. Ce « message oral » est envoyée par l’intermédiaire de l’ambassadeur belge à Tripoli, qui représente les intérêts américains (du fait de la rupture des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la Libye depuis 1979), reçu par Kadhafi de manière impromptue. Les diplomates belges en informent aussitôt leurs collègues français à Tripoli, qui transmettent son contenu à Paris dans un télégramme, ce qui explique pourquoi nous en avons trouvé la trace dans les archives du Quai d’Orsa (voir l’extrait ci-dessous)

Dans ce message, Kadhafi explique à Bush qu’il va lui adresser un document argumenté de 49 pages visant à orienter l’enquête sur l’attentat Pan Am vers d’autres pistes que la Libye. Il propose que son nouveau chef des services secrets puisse coopérer avec la CIA et d’autres services dans l’enquête sur les attentats de Lockerbie et d’UTA. « Si une coopération directe pose problème, on pourrait passer par l’’intermédiaire de l’Egypte » insiste-t-il. Kadhafi se dit ouvert à la coopération, mais il n’en fera rien, car il ne cessera de clamer l’innocence de la Libye dans ces attentats, tout comme son beau-frère Senoussi.

Les documents issus des archives de Senoussi lui-même, que nous détaillons dans le livre, prouvent aujourd’hui l’ampleur du mensonge libyen de l’époque.

9
Jan
2025
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Jour J pour la sortie de « L’assassin qu’il fallait sauver, au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi »

Le procès de Nicolas Sarkozy et de ses proches a débuté lundi 6 janvier au tribunal correctionnel de Paris, avec une grande affluence médiatique, des premières joutes procédurales et des promesses de combats judiciaires farouches durant plus de 3 mois.

Au premier rang, sur les bancs, l’ancien président, mutique les premiers jours, aux côtés des anciens ministres Eric Woerth, Brice Hortefeux et Claude Guéant, ainsi que des intermédiaires financiers. Tous présumés innocents. Suspectés d’avoir contribué, de près ou de loin, au pacte corruptif présumé entre le régime de Kadhafi et l’équipe Sarkozy, avec des financements en échanges de contreparties diverses. Parmi elles, un sujet sensible: l’impunité possible pour Abdallah Senoussi, condamné par contumace en 1999 à la perpétuité, dans l’affaire du DC10 d’UTA (170 morts). Beau-frère de Kadhafi, homme-clé du régime, Senoussi était au centre des discussions.

Karl Laske et moi publions ce 9 janvier un livre qui raconte l’histoire complète de ce terroriste d’Etat que certains voulaient sauver. Un livre basé sur des archives inédites de Senoussi lui-même, qui nous ont été fournies par un citoyen libyen, Samir Shegwara. Voici la présentation de ce livre, préfacé par Fabrice Arfi, qui retrace, de l’intérieur, plusieurs décennies de cette dictature, entre terrorisme et corruption….

« Les collaborateurs de Nicolas Sarkozy n’auraient jamais dû croiser la route d’Abdallah Senoussi, le maître espion de Mouammar Kadhafi, condamné pour terrorisme à Paris en 1999.

Ses archives récemment découvertes parlent. Essais d’explosifs dans le désert. Livraisons d’armes cachées. Repérages des lignes aériennes et des aéroports les plus propices. Réunions au sommet. Les services secrets du régime n’avaient rien laissé au hasard. Ils ont fait exploser le Boeing de la Pan Am au-dessus de Lockerbie le 21 décembre 1988, et le DC10 d’UTA le 19 septembre en plein désert du Ténéré. Un bilan total de 440 morts.

Une fois sa responsabilité établie par des enquêtes occidentales, la Libye, frappé d’embargo, a voulu montrer patte blanche. Elle a négocié avec les services secrets français, accepté des procès a minima, payé des indemnités aux victimes, tout en cherchant à tirer d’affaire Abdallah Senoussi.

C’est ainsi que l’espion libyen est devenu, dans l’ombre, une clé de la réconciliation avec les États-Unis et de la lune de miel franco-libyenne. Selon les archives libyennes, l’entourage de Nicolas Sarkozy lui aurait alors proposé d’agir en faveur de la révision de son procès en France, et la levée de son mandat d’arrêt. Il était l’assassin qu’il fallait sauver. L’homme de la compromission la plus grave.

Incarcéré en Libye depuis 2012, l’ancien maître espion libyen est aujourd’hui au cœur du procès de Nicolas Sarkozy et de son équipe dans l’affaire des financements libyens. »

Plus d’infos à venir sur la sortie du livre.

 

A voir également au cinéma en salles: « Personne n’y comprend rien« , le film documentaire de Mediapart sur l’affaire libyenne.

 

5
Jan
2025
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J-4 pour la sortie du livre «L’assassin qu’il fallait sauver, au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi »»

L’année 2025 démarre fort côté actualité, avec, demain 6 janvier, le début du procès de Nicolas Sarkozy et de plusieurs de ses anciens ministres pour le présumé « financement libyen ». Et le 9 janvier sort en librairie le nouveau livre que je co-signe avec Karl Laske (de Mediapart) titré « L’assassin qu’il fallait sauver, au cœur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi » (Robert Laffont). Cette enquête, à la fois historique et contemporaine, raconte l’histoire incroyable de la Libye du colonel Kadhafi, son implication au plus haut niveau dans le terrorisme et ses manoeuvres pour tenter d’effacer ce lourd passé.

Ce projet de livre a débuté il y a plus de 5 ans, après un premier contact noué par mes confrères Karl Laske et Fabrice Arfi  de Mediapart – qui ont révélé de nombreux aspects de l’affaire libyenne de Sarkozy, laquelle fait l’objet d’un film documentaire titré « Personne n’y comprend rien » qui sort en salles le 8/1 – avec un citoyen Libyen, nommé Samir Shegwara. Cet ancien opposant à Kadhafi leur a transmis quelques documents provenant des archives d’Abdallah Senoussi, l’ancien chef des services secrets libyens et beau-frère du Guide. A la suite de ce contact, Samir Shegwara a ensuite accepté d’adresser un ensemble beaucoup plus vaste de documents provenant de ce fonds d’archives, qu’il avait pu récupérer après la chute du régime en 2011. Je suis alors entré dans ce projet, fort de quelques expériences en matière d’archives et d’affaires liées au renseignement, au terrorisme et à la Libye.

Après avoir passé de nombreux mois à récupérer ces documents, les authentifier et les traduire, nous avons décidé de contre-enquêter afin de reconstituer l’ensemble des histoires que ces documents éclairent d’un jour nouveau : à savoir principalement, sous la houlette d’Abdallah Senoussi, la préparation, l’exécution, le suivi et les négociations liées aux attentats ayant détruit un avion de Pan Am au-dessus de Lockerbie (Ecosse) en décembre 1988, puis celui ayant visé un DC10 d’UTA au-dessus du Ténéré (Niger) en septembre 1989.

Longtemps, la Libye a nié son implication dans ces attentats, avant que des enquêtes menées en Écosse, aux États-Unis et en France, incriminent plusieurs responsables libyens, dont Abdallah Senoussi lui-même, condamné par contumace dans l’affaire d’UTA en 1999.

Les documents auxquels nous avons eu accès fournissent des informations inédites sur l’implication libyenne, les connexions entre les 2 attentats, le rôle de certains officiers dont le nom n’était pas apparu jusqu’à alors. Et aussi sur les négociations secrètes, entamées dès 1993 par Abdallah Senoussi pour se soustraire à la justice, puis pour tenter de faire annuler sa condamnation.

La possible impunité judiciaire de Senoussi -actuellement détenu en prison en LIbye – fut justement au cœur des discussions du présumé « pacte corruptif » entre le pouvoir libyen et les proches de Nicolas Sarkozy, en échange d’une promesse de financement de la campagne de ce dernier pour la présidentielle de 2007.

Notre enquête, enrichie de nombreuses autres sources inédites (américaines, britanniques et françaises) rejoint l’actualité du procès qui débute le 6 janvier au tribunal de Paris. Elle raconte l’histoire de Senoussi, un terroriste d’Etat, un assassin que certains voulaient sauver à tous prix. Un commanditaire d’attentats qui était au centre des tractations avec l’équipe de Sarkozy.

Plus de détails dans quelques jours sur cette enquête au long cours…

13
Déc
2024
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Quand Chirac rêvait de «l’effondrement » du régime d’Assad en Syrie

La chute de la dictature des Assad, le 8 décembre 2024, aura été trop tardive pour bon nombre de ses victimes. Après 54 ans de règne familial absolu sur ce pays, le départ de Bachar et la découverte de ses geôles terrifiantes n’a fait que confirmer l’infinie cruauté de ce régime sanguinaire, dont personne ne pouvait ignorer les méfaits, les dirigeants occidentaux les premiers. Certains appelaient de leurs vœux la fin de cette dictature, sans pouvoir la précipiter.

C’est le cas de Jacques Chirac. Fin connaisseur du Proche-Orient, ami de Rafic Hariri, l’ancien premier ministre libanais assassiné par les Syriens le 14 février 2005, le président de la République vouait une haine tenace à l’égard de Bachar el-Assad et de son régime qualifié de « stalinien », selon des confidences rapportées dans les archives de l’Élysée, auxquelles j’avais pu avoir accès en 2008, dans le cadre de la préparation d’un livre sur les relations franco-américaines titré « Dans le secret des présidents » (Fayard-LLL, 2010).

C’était il y a vingt ans. La rancœur de Chirac à l’encontre du fils Assad était d’autant plus grande qu’il avait essayé, dès son arrivée au pouvoir en 2000, de le convaincre de « moderniser » son pays, assouplir son régime et à « normaliser » ses relations avec ses voisins et anciens ennemis. Le président Chirac s’était rendu en Syrie en juin 2000 puis en octobre 2002. Pour sa part, Bachar El Assad était venu en France en juillet 1998 et juin 2001. Après la chute de Saddam Hussein en avril 2003, selon Chirac, la Syrie pourrait tourner la page, contribuer à stabiliser l’Irak, alléger son emprise sur le Liban et négocier un accord de paix avec Israël.

En novembre 2003, il envoie secrètement son conseiller diplomatique, Maurice Gourdault-Montagne en discuter avec Assad. Mais le fils Assad ne veut rien entendre. Pire, il poursuit ses actions de sape. Son clan a siphonné 2 milliards de dollars sur des comptes irakiens chez lui, au lieu de les rendre aux Irakiens. Le dictateur facilite l’entrée de djihadistes en Irak, via son territoire, pour combattre les Américains sur place. De plus, Assad continue de soutenir le Hezbollah au Liban et les mouvements palestiniens radicaux, comme le Hamas et le Djihad islamique, ennemis jurés d’Israël. Les Etats-Unis le savent et veulent sanctionner son régime.

Pour sa part, Jacques Chirac plaide en faveur d’une action conjointe visant à contraindre Assad à retirer son armée du Liban. Le 2 septembre 2004, le conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1559 qui oblige la Syrie à ce retrait. Assad subit ainsi un camouflet diplomatique. Face à la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, Jacques Chirac se lâche le 8 février 2005 sur le régime syrien: « La petite minorité alaouite (chiite) la dirige d’une main de fer depuis l’époque de la guerre froide et avec des méthodes inspirées du camp soviétique. Hafez El Assad a été remplacé par son fils qui n’a ni la même expérience, ni la même intelligence. Il est la clé de voûte d’un système qui, sans lui, s’effondrerait. Mais les dirigeants actuels ne savent plus quelle direction prendre, d’où des mouvements désordonnés. »

Selon Chirac, il faut exiger l’application de la résolution 1559. La réponse d’Assad ne se fait pas attendre : le 14 février 2005, une bombe explose sous la voiture de Rafic Hariri (photo à droite) considéré comme un ennemi par le Syrien. Lors d’un entretien avec George Bush, le 21 février, Chirac explose de colère, après l’assassinat de son ami, dont la Syrie est, selon lui, responsable : « L’attentat contre Rafic Hariri n’a pu être commis que par des services organisés et expérimentés, dit-il. Pour qui connaît le fonctionnement du système alaouite au pouvoir à Damas, le doute n’est pas possible : la décision a été prise par le président Assad. Toute autre hypothèse n’a pas de sens. »

Chirac ajoute, à l’adresse du président américain : « Notre objectif doit être de libérer le Liban de la domination syrienne, car la Syrie vit de l’exploitation du Liban à travers un système de corruption organisé au sommet. La minorité alaouite constitue le dernier régime de type stalinien. Le Liban est son talon d’Achille. » Sur ses notes, le président français a souligné ces mots à la main : « La Syrie ne rendra gorge que si on lui fait peur et si on lui fait mal ».

Ensemble, Chirac et Bush accentuent la pression sur Damas, qui finit, le 6 mars 2005, par annoncer le retrait de ses troupes du Liban. Le lendemain, lors d’un échange téléphonique, les présidents français et américains s’en félicitent. Mais il faut aller plus loin, selon Chirac : «Certains parlent de provoquer un changement de régime en Syrie. Le faire apparaître ferait le jeu de Damas, dit-il à Bush. Si on obtient le retrait et une perte de contrôle de la Syrie sur le Liban, le régime syrien s’effondrera de lui-même. Il existe actuellement un arc chiite de l’Iran au Liban en passant par le nouvel Irak et la Syrie alaouite. Mais les Alaouites sont minoritaires. Dans la Syrie de demain, la démocratie amènera au pouvoir les Sunnites et les Chrétiens, ce qui enfoncera un coin dans l’arc chiite ».

Quelques mois plus tard, Jacques Chirac est toujours partisan de la fermeté à l’égard d’Assad. Il livre son analyse à Condi Rice, lors d’un entretien le 14 octobre 2005 : « Le régime syrien est plus déstabilisé qu’il n’y paraît et plus fragile qu’on ne le croit, estime-t-il. L’opinion publique syrienne se pose de plus en plus de questions sur l’attitude de ses gouvernants (…) Si Assad se sent menacé, il recourra à la violence terroriste. C’est dans la culture alaouite. La situation était la même du temps de son père, à ceci près que celui-ci était plus intelligent et plus expérimenté. Tout cela durera autant que le régime. Il faut qu’il s’effondre. Mais tout seul. »

Jacques Chirac pronostique – et souhaite – cette chute. Mais il se trompe sur la fragilité du régime, qui va encore tenir 19 ans, à force de guerres, de répression et de violences.

Voir le récit complet et plus de détails dans « Dans le secret des présidents », Vincent Nouzille, Fayard-LLL, 2010. Pluriel 2012.

6
Déc
2024
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Rencontre avec Kamel Daoud, prix Goncourt pour « Houris »

Le 5 décembre, j’ai eu la chance de pouvoir animer une rencontre grand pubic avec Kamel Daoud, écrivain franco-algérien, prix Goncourt pour son formidable roman « Houris » paru chez Gallimard. Plus de 500 personnes sont venues assister à ce moment inoubliable, organisé à l’initiative de la Librairie de la place aux herbes, à Uzès, sa directrice Caroline Perez et ses équipes, et l’appui de la Communauté de communes du pays d’Uzès, qui met, chaque mois, la salle de l’Ombrière, à la disposition de la librairie pour un événement littéraire.

On se présente plus Kamel Daoud, sauf pour rappeler qu’il a été longtemps journaliste et chroniqueur au Quotidien d’Oran, et qu’il est essayiste et chroniqueur au Point depuis 2014. Ses premiers livres ont marqué les esprits, avec son roman « Meursault, contre-enquête », récit du frère de l’arabe anonyme, nommé Moussa, tué sur une plage par le héros du livre « L’étranger « d’Albert Camus. Ce livre, publié en 2013 en Algérie et en 2014 chez Actes Sud, a reçu l’année suivante le prix Goncourt du premier roman. Puis, il y a eu « Zabor ou les psaumes », histoire d’un jeune garçon qui tente d’éloigner la mort par les livres, avec le prix Méditerranée en 2018. Egaement en 2018, Le « Peintre dévorant la femme », un essai sur une nuit au musée Picasso

Enfin, c’est le plus récent, paru en août dernier, « Houris », un véritable coup de poing et coup de maître, qui a reçu le prix Goncourt le 4 novembre. Un livre puissant, magistral, violent, poétique et dérangeant.

C’est le conte des mille et nuits tragiques de l’Algérie, une ode à la mémoire et à la vie, à travers la voix intérieure d’Aube, une femme muette depuis un égorgement, qui parle à son enfant à naître, nommée HOURI (ces femmes promises au paradis), de l’enfer de la guerre civile des années 90 en Algérie.

Ce livre a, selon le Figaro, « la force d’un oued en crue après un terrible orage nommé guerre civile ». France inter en a parlé comme d’un « texte indispensable sur les violences des hommes contre les femmes, sur la mémoire et l’oubli et sur les ravages de l’islamisme en Algérie ». L’académie Goncourt a salué : « un livre où le lyrisme le dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l’Algérie, celles des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace aux côtés du récit historique d’un peuple, un autre chemin de mémoire »

Par la force de son récit, « Houris » aborde de front le sujet tabou de l’Algérie, puisque l’histoire, la mémoire, les victimes de la guerre civile , qui pris près de 200 000 vies, sont des sujets interdits. Le livre cite l’article 46 de la loi de réconciliation nationale votée en Algérie en 2005, qui punit de 3 à 5 ans de prison et d’une amende de 250 000 à 500 000 dinars quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, « utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. »

Courageux, Kamel Daoud jette un pavé dans la mare. Victime depuis des années d’une fatwa, puis de pressions, il a du fuir l’Algérie en secret en août 2023, redoutant un emprisonnement. Depuis la parution de son livre, il fait l’objet d’une campagne de calomnies, de diffamation et de déstabilisation. Dans le Point du 5 décembre, il dit : « c’est l’histoire d’une guerre qui m’est faite pour avoir brisé un tabou ». Son roman est interdit en Algérie. Son éditeur Gallimard a été banni au Salon du livre d’Alger. Le témoignage d’une femme, Saada Arbane, qui l’accuse de s’être inspirée de son histoire, a surgi pour attaquer, non pas ses égorgeurs, mais l’écrivain, alors que celui-ci fait œuvre de fiction sur la tragédie d’un peuple.

Il n’est pas le seul visé. Des campagnes similaires ont ciblé la maison d’édition Koukou dont certains livres sont bannis et dont des auteurs, comme Dominique Martre, ont été interpellés par la police en juin. Elles visent l’écrivaine algérienne Inaam Bayoud, pour son roman Houaria, victime d’un lynchage médiatique, qui a contraint sa maison d’édition MIM à fermer ses portes. Elles visent l’écrivaine algérienne Hédia Benshali, dont le livre « L’Algérie juive, l’autre moi que je connais si peu », fait l’objet d’une censure. Ces campagnes visent très récemment l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui a été arrêté à son arrivée en Algérie le 26 novembre et qui risque une lourde condamnation

A la question que je lui ai posée « peut-on aujourd’hui être « algérien et écrivain ? », Kamel Daoud a répondu, avec une pointe d’ironie : « ce sont deux métiers très différents ». Il a écrit quelques jours plus tôt: « J’écris. Suis-je certain de ce droit? Suis-je prêt à assumer les conséquences, peut-être fatales, de mon écriture? »

Exilé, diffamé, Kamel Daoud savait que la récompense du Goncourt aurait un « prix », mais la pression est forte. Venu à Uzès, il a remercié le public venu le saluer, l’écouter et le soutenir. Il a rappelé, en faisant référence à Albert Camus, qu’il nous faut résister à la tyrannie et rester modeste, et à hauteur d’hommes, pour comprendre la complexité du monde.

29
Nov
2024
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Rencontre avec Anne Poiret, réalisatrice du film « Les enfants de Daech »

Les 27 et 28 novembre, j’ai vécu des moments forts à  Uzès à la Librairie de la place aux herbes, puis au lycée Charles Gide avec des lycéens de terminale, puisque j’ai pu animer et accompagner Anne Poiret pour des rencontres très riches sur son métier et son dernier livre, une BD sur un ancien soldat de Daech.

Formée à Paris, puis à New York, Anne Poiret a débuté sa carrière de journaliste auprès de plusieurs rédactions, comme C dans l’air, Envoyé Spécial, Arte reportages, Le Monde en face. En 2007 elle reçoît, avec ses collègues Gwenlaouen Le Guouil et Fabrice Launay, le prestigieux prix Albert Londres, pour « Muttur, un crime contre l’humanitaire », massacre de 17 travailleurs de l’ONG Action contre la faim, au Sri Lanka, qui a eu lieu le 4 août 2006.

En 2011, elle documente, avec Florence Martin-Kessler « la fabrique d’un État » (Arte), en l’occurrence le Soudan du Sud, après une guerre civile, en suivant Lisa Grande, représentante de l’ONU et Riek Machar, vice président de ce nouveau pays.  Puis, elle s’intéresse à un autre crime oublié : le génocide des peuples Hereros et des Namas en Namibie au début du XXème siècle, commis dans ce qui était une colonie allemande. Elle enchaîne ensuite films engagés, sur les épidémies, sur les réfugiés, sur le Cachemire, sur la Libye, sur la Syrie, et en 2018 film choc qui s’intitule « Mon pays fabrique des armes », où elle raconte en détail comment la France est devenue l’un des premiers exportateurs au monde de vente d’armes et l’omerta que cela implique, notamment avec certains pays comme l’Arabie Saoudite et l’Egypte.

En 2019, Anne Poiret réalise d’abord un premier documentaire sur Mossoul, grande ville d’Irak, tombée entre les mains de Daech et libérée en 2017. Avant d’entreprendre son documentaire phare « Enfants de Daech, les damnés de la guerre », pour France 5 diffusé en 2021. Ce film, impressionnant, raconte le destin tragique de d’enfants de Daech, d’anciens jeunes recrues abandonnés à leur propre sort, sans papiers légaux. Ce film est poignant aussi sur le sort des jeunes femmes, enrôlées comme esclaves, et qui doivent abandonner leurs enfants nés de combattants, car les yézidis n’en veulent plus.

Ce documentaire, diffusé en mai 2021 sur France 5, est par le prix du public du Figra 2022, et au plan international avec le prix du meilleur documentaire des International Emmy Awards le 21 novembre 2022 à New York.

C’est dans ce cadre qu’elle rencontre un jeune Yezidi enrôlé de force à 10 ans dans les rangs de Daech, appelé Mahar, dont l’histoire incroyable est racontée dans une BD « Mahar le Lionceau », cosignée en 2024 chez Delcourt, avec le dessinateur danois Lors Horneman.

Anne Poiret a une expérience inégalée des pays en guerre, et surtout des « après-guerre », sujets auxquels elle se consacre via sa société de production After War. Les après-guerre sont souvent moins traités dans les médias que les guerres elles-mêmes, alors qu’elles sont parfois plus dangereuses. Ce sont autant de témoignages et de constats sur la résilience, la mémoire, les disparus, la justice, les reconstructions, les exilés et les destins d’anciens soldats.