24
Mai
2017
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Macron veut sa cellule antiterroriste à l’Elysée! Gare aux détails!

A l’issue du Conseil de défense et de sécurité qui s’est tenue le 24 mai à l’Elysée dans la foulée des attentats de Manchester, le président de la République a fait savoir qu’il prolongerait l’état d’urgence et qu’il avait également « donné des instructions pour la mise en place du centre de coordination des services engagés dans la lutte contre le terrorisme, dont l’organisation sera arrêtée, sous son autorité, par le Conseil de défense et de sécurité d’ici au 7 juin.

En l’occurrence, Emmanuel Macron fait suite à sa promesse de campagne, durant laquelle il avait évoqué la mise en place d’une « task-force anti-Daech » auprès de lui et un renforcement de la coordination du renseignement. Ces idées salutaires ne sont pas totalement neuves, puisque le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, rendu public en juillet dernier, recommandait déjà une meilleure coordination et la création d’une Agence nationale de lutte antiterroriste rattachée à l’exécutif (certains voulant la placer près de Matignon, d’autres de l’Elysée). Cette suggestion, répétée en janvier dernier par les auteurs du rapport Georges Fenech et Sébastien Pietrasanta – avait été rapidement écartée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, au motif qu’il ne fallait pas ajouter de nouvelles épaisseurs au « plum pudding » du renseignement français. Une manière de botter en touche, alors même que les carences en termes de coordination sont criantes et que les attentats de 2015 ont révélé bien des failles dans le dispositif.

En réalité, comme je  l’ai rappelé dans mon livre « Erreurs fatales », depuis le début des années quatre-vingts, la nécessité d’une meilleure coordination et d’un véritable pilotage au sommet est apparue à de nombreuses reprises à chaque vague d’attentats, sans que les présidents successifs ne prennent les mesures adéquats. On ne compte plus les rapports d’experts appelant à une réforme profonde allant dans ce sens, notamment en 1995, 2001, 2005, 2008, 2011, 2013, 2015, 2016… Certes, des prémices d’une coordination ont été posées sous l’ère de Nicolas Sarkozy (avec la création d’un poste de Coordonnateur national du renseignement à l’Elysée – malheureusement doté de peu de pouvoirs) et légèrement renforcées sous François Hollande (avec la mise en place de petites cellules opérationnelles interservices anti-Daech, comme Allât à la DGSI et Hermès à l’Etat-major des armées). Mais il reste tout à faire, ou presque, dans ce domaine. Jusqu’à présent, la volonté politique manquait pour aller plus loin.

La forme précise de ce futur « Centre de coordination des services engagés dans la lutte contre le terrorisme » reste encore très floue. Il devrait réunir au moins une centaine d’agents des différents services de renseignements (DGSE, DGSI, DRM, etc) à l’Elysée, mais sous l’autorité de qui? Du Coordonnateur du renseignement (qui ne traite pas que du terrorisme)? Du Chef d’état-major particulier du président (qui traite surtout les volets militaires)? Du secrétaire général de la présidence ou du directeur de cabinet (qui ont d’autres dizaines de dossiers sur les bras)? D’un nouveau patron de la lutte antiterroriste désigné pour l’occasion? Nul ne le sait encore.

Et surtout, la définition de ses missions sera capitale: contrairement à l’expression « anti-Daech » avancée par le candidat Macron, ce centre devrait sans doute se consacrer à l’ensemble des menaces terroristes d’où qu’elles viennent. Mais aura-t-il une mission de renseignement général, ou une visée opérationnelle sur les dossiers chauds, en lien étroit avec les directions de chaque service? Quels seront justement ses rapports avec les différentes structures qui s’occupent déjà d’antiterrorisme, qu’il s’agisse des services de renseignement, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui dépend de Matignon, de l’Uclat (l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste) déjà dotée d’une centaine de personnes, logée au sein de la police nationale, de l’EMOPT (l’Etat-major opérationnel de prévention du terrorisme) situé près du ministre de l’Intérieur, ou encore de la PJ (chargée de nombreuses enquêtes antiterroristes) et du Procureur de la république de Paris, qui pilote les procédures judiciaires? Vaste casse-tête en perspective!

Si son principe est justifié, ses missions précises et son fonctionnement se heurtent à de nombreuses questions, et suscitent déjà, en coulisses, de sérieuses réticences, batailles de prés carrés et querelles d’ego. Le diable, en l’occurrence, se niche souvent dans les détails. Pour ne pas rajouter à l’usine à gaz de l’antiterrorisme français, il faudra sans doute regrouper, simplifier, clarifier tous ces points.

Sinon, ce « centre de coordination » pourrait rappeler le cauchemar de ce que fut au début des années 80 la « cellule antiterroriste de l’Elysée » créé de manière improvisée et arbitraire par le président Mitterrand après l’attentat de la rue des Rosiers du 9 août 1982, dont je rappelle, dans « Erreurs fatales », les funestes dérives: dirigée par le commandant de gendarmerie Christian Prouteau (ci-dessous en photo avec Mitterrand), cette cellule a mené, en effet, ses propres opérations antiterroristes en dépit de toutes les règles de prudence et de légalité. Mal vue par tous les services, elle fut privée de relais utiles et ne coordonna aucune stratégie antiterroriste. Conduite à s’occuper également de la sécurité du Président et de ses proches – dont sa fille cachée Mazarine – elle a vite basculé dans des écoutes illégales tous azimuts, qui ont conduit certains de ses protagonistes devant les tribunaux.. »

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Son échec et ses dérapages ont même, sans doute, discrédité pour longtemps toute tentative de coordination élyséenne sur le sujet. Espérons que le « jupitero-mitterrandien » président Macron, avec de bonnes intentions, ne tombera pas dans le même travers fatal

 

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