30
Sep
2020
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« Les tueurs de la République »: des documents inédits sur les opérations « Homo »

Dans la nouvelle édition de mon livre les Tueurs de la République (Fayard), en librairie le 30 septembre, je révèle notamment des documents d’archives qui confirment l’existence d’une politique d’assassinats ciblés, décidée au plus haut niveau de l’Etat dans la période de la guerre d’Algérie – essentiellement de 1956 à 1962.

Le Monde du 25 septembre a rendu compte en partie du contenu de certains de ces documents révélés par mon livre, qui contient des copies de quelques pages de ces archives. J’y consacre aussi un long passage dans le chapitre sur la guerre d’Algérie, pour une remise en perspective et des explications.

Il s’agit de documents exceptionnels, que j’ai trouvés dans les archives de Jacques Foccart, éminence grise de De Gaulle, conseiller aux affaires africaines et tuteur des services secrets français, le SDECE (ancêtre de l’actuelle DGSE). Deux petits extraits de ces archives avaient été exposés, en partie masqués, au Musée de l’armée fin 2016. J’ai pu accéder à l’ensemble des documents se référant à ce sujet et à quelques autres qui éclairent, de manière précise, à la mi-1958, la chaîne de commandement concernant des éliminations et le bilan des opérations de sabotage et d’assassinats menées par le SDECE depuis 1956.

-L’un de ces documents est particulièrement intéressant, puisqu’il est titré « Fiche concernant les objectifs ‘Homo’ ». C’est la première fois, à ma connaissance, que le terme officieux désignant des opérations « Homo », pour homicides, apparaît en toutes lettres dans un document d’archives accessible. Cette « fiche », datée du 5 août 1958, dresse la liste des personnes à éliminer. Sans cesse actualisée, elle comporte, à cette date, neuf noms classés en trois groupes : la catégorie « trafiquant », la plus fournie avec six noms; une catégorie « politiques » avec deux noms ; et une catégorie « Français pro-FLN » avec un seul nom. L’existence de cette catégorie prouve que le pouvoir est prêt à enfreindre toutes les règles, y compris en assassinant des « Français ».

 

Le document a été envoyé à Jacques Foccart, qui vient d’arriver, aux côtés du général De Gaulle, à la présidence du Conseil, c’est-à-dire à Matignon, après sa nomination en mai 1958 en pleine crise algérienne. Le conseiller Foccart valide cette liste, qui a été enrichie et corrigée plusieurs fois, avant d’être transmise au directeur du Sdece, le général Grossin, pour action. La signature de Foccart est visible à l’encre bleue, ce qui signifie que le « permis de tuer » est donné au plus haut sommet de l’Etat.

 

-Un autre document donne une vision rétrospective plus large des opérations « Arma » (sabotages) et « Homo (assassinats) réalisées par le Sdece entre janvier 1956 et le printemps 1958. Destructions de cargos, de voitures, de casernes ou de fabriques d’armes, attentats contre des postes radio, incendie d’imprimeries, bombardements nocturnes de camps d’entraînement du FLN, assassinats à l’explosif ou à l’arme silencieuse : tout y passe dans ce document de six pages, qui détaille, pour chaque opération, le « but à atteindre, le « lieu, la « date », « le montage », la réalisation ».

Au total, 38 opérations passées sont répertoriées ainsi que 9 en préparation. Point important: sur les 38 opérations, 17 seulement ont réussi, 4 ont échoué et 17 ont été annulées, dont 8 par « ordre supérieur ». Le Sdece subit de nombreux aléas, défaillances et des contre-ordres. Car jusqu’au dernier moment, toutes ces opérations demeurent conditionnées à un ultime feu vert de la direction du Sdece, voire du gouvernement. C’est notamment le cas de 2 opérations annulées in extremis, notamment en juillet 1956 pour éliminer le leader du FLN Ahmed Ben Bella et en décembre 1956 pour tuer le leader égyptien Nasser

 

Recevant ce bilan établi probablement fin août 1958, Jacques Foccart ne semble pas très satisfait des résultats du Sdece, qu’il souhaite réformer, ainsi que l’ensemble de la politique de renseignement. Il va s’employer à reprendre rapidement en main le service et ses opérations. Les années suivantes, avec la guerre d’Algérie qui se poursuit, le pouvoir gaulliste va même passer la vitesse supérieure en termes d’assassinats ciblés: selon l’ancien conseiller de Michel Debré à Matignon Constantin Melnik, pour la seule année 1960, il y aurait eu au moins 140 opérations Homo...

Plus de détails, le récit complet, les documents sont à découvrir dans le livre.

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