Les failles de l’affaire Merah ont-elles été corrigées?
Cinq ans après les tueries causées par Mohammed Merah à Montauban et Toulouse, la France commémore ces événements tragiques. Mais des questions demeurent sur ces événements. Les erreurs commises par les services de renseignement français concernant le suivi de ce djihadiste – que je détaille dans mon livre « Erreurs fatales »– ont-elles été corrigées et les leçons tirées? On peut sérieusement en douter, même si des progrès ont été effectués concernant l’appréhension des djihadistes partis ou revenus des terres de combat.
Petit rappel: le procès de l’affaire Merah, qui devait avoir lieu en 2016, puis en février 2017, a finalement été repoussé à l’automne, au minimum. L’un des frères de Mohammed Merah, Abdelkader Merah a été mis en examen, notamment pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et pour complicité d’assassinats, et renvoyé devant les assises, tout comme Fettah Malki, un complice présumé soupçonné d’avoir fourni des armes, un gilet pare-balles et des munitions à Mohammed Merah. Complicités présumées: la théorie de Merah « loup solitaire » présentée par les autorités policières au moment de l’affaire était un paravent commode pour masquer une cécité sur des réseaux et des dysfonctionnements dans leur surveillance.
La lenteur de la procédure judiciaire est telle qu’Albert Chennouf-Meyer, l’un des pères d’une des victimes – Abel Chennouf – a exprimé sa colère, expliquant qu’il n’attendait plus grand chose de la justice. Il a pourtant réussi à faire condamner l’Etat officiellement pour « faute » dans cette affaire: le tribunal administratif de Nîmes a estimé, le 12 juillet 2016, que l’État a commis une faute en abandonnant tout suivi de Mohammed Merah fin 2011. « L’absence de toutes mesures de surveillance a compromis les chances d’éviter le décès d’Abel Chennouf survenu seulement quatre mois après l’entretien » ont jugé les magistrats. Le gouvernement a fait appel de cette décision du tribunal de Nîmes. Car il ne faut pas laisser penser que les services ont commis des graves erreurs…
Or les services de renseignement ont bien raté Mohammed Merah en 2011-2012. Certes les services régionaux toulousains du renseignement intérieur (DRRI) ont alerté leurs supérieurs parisiens sur la dangerosité présumée de Mohammed Merah. Avant et après un séjour en prison, ce dernier côtoyait depuis des années toute la nébuleuse djiahdiste toulousaine – dont Jean-Michel Clain et Sabri Essid, partis depuis lors en Syrie rejoindre l’Etat islamique. Mohammed Merah avait voyagé au Moyen-Orient et en Afghanistan en 2010, quitté plusieurs fois le territoir, et passé des centaines de coups de téléphones à l’étranger sans être inquiété. Sa fiche « S » avait même été désactivée en 2010… Durant les premiers mois de 2011, il est à nouveau surveillé de près. Son comportement est jugé « inquiétant » par les policiers de la DRRI. Sur la base de leurs inquiétudes, en juin 2011, ils rédigent un rapport demandant à leur direction parisienne (DCRI) une possible « judiciarisation » du dossier Merah, ce qui aurait sans doute changer la donne…
Mais la DCRI traîne. Elle ne répond pas tout de suite. La « judiciarisation » peut attendre. Les services décident seulement d’une rencontre « administrative » avec Mohammed Merah alors qu’il revient fin 2011 du Pakistan où il s’est entraîné dans les camps d’Al Qaïda… A l’issue d’un entretien le 14 novembre 2011 avec Merah, qui n’a pas lésiné à proférer de gros mensonges sur son voyage, les policiers parisiens, écriront :
« La rencontre n’a pas permis de faire de lien entre Mohammed Merah et un éventuel réseau djihadiste. Mohammed Merah est apparu comme quelqu’un d’assez malin et ouvert, qui pourrait présenter un intérêt pour notre thématique, en raison de son profil voyageur. Néanmoins, le comportement et la fiabilité de Mohammed Merah nécessitent d’abord une évaluation par le service départemental »
Traduction: Merah n’a pas l’air dangereux, au contraire, il pourrait même devenir une source pour le service. Un déni de réalité et un comble! Les policiers toulousains, qui connaissent l’oiseau, refusent cette dernière hypothèse. Ils ont reçu ce rapport à Toulouse le 25 février 2012, soit 2 semaines avant que Merah ne commette ses tueries. Ils sont obligés de lever toutes les surveillances. En réalité, les policiers de terrain n’ont pas été écoutés. La « centrale » s’est trompée. Les réponses ont tardé. Aucune enquête n’a été finalisée sur le séjour au Pakistan. Aucune information fiable n’a été transmise par d’autres services français et étrangers. Toute surveillance a été levée… Et aucune sanction visible n’a été prononcée contre les responsables de ces erreurs.
Depuis cette affaire, d’autres « Merah » sont apparus dans les radars et ont commis d’autres méfaits, qu’il s’agisse des frères Kouachi, d’Amedy Coulibaly, ou des kamikazes du 13 novembre 2015. La plupart avaient des profils similaires d’anciens délinquants convertis, passés par la prison et ayant séjourné dans des zones de combats, en contact avec des nébuleuses djihadistes locales et via internet. Depuis, le suivi pénitentiaire ou post-pénitentaire de ces prisonniers sensibles n’a pas été profondément réformé. D’après les dernier comptages, il y aurait en France plus de 2000 personnes radicalisées pouvant présenter des comportements dangereux. Officiellement, la DGSI et la DGSI travaillent de concert pour les pister et les surveiller, tout comme le service de renseignement territorial (SCRT), nouvelle enseigne des RG que la réforme de 2008 imposée par Nicolas Sarkozy avait supprimés, privant les services de précieux capteurs dans les banlieues. Mais quand je suis allé plusieurs fois à Toulouse l’an dernier pour mener mon enquête, des policiers m’ont avoué qu’ils avaient des centaines de personnes à surveiller dans leur seule région et qu’ils n’en avaient pas les moyens (ni humains, ni techniques). Le syndrome Merah n’a pas disparu. Il s’est plutôt aggravé.