Rising Lion: les secrets de l’opération du Mossad israélien contre l’Iran
L’opération Rising Lion, déclenchée le 13 juin par Israël contre l’Iran, provoque une vive tension au Moyen-Orient, avec un risque de guerre régionale. Elle a mobilisé l’armée israélienne et le Mossad, pour des opérations combinées à grande échelle contre les états-majors iraniens, des scientifiques, des site nucléaires, des base de missiles et les défenses anti-aériennes.
J’ai été interviewé à plusieurs reprises sur le rôle du renseignement et du Mossad dans cette offensive.
–Sur RTL mardi 17 juin, une interview à retrouver ici.
–Sur RFI le mercredi 18 juin, une interview à podcaster ici
-Et également sur RFI, avec cette interview, ci dessous, à retrouver ici.
« Guerre Israël-Iran: «Cette opération montre la capacité du Mossad à mener des actions à grande échelle»
Israël poursuit son offensive contre l’Iran. Une opération militaire préparée de longue date grâce à l’infiltration des services de renseignements, notamment du Mossad, le service de renseignement extérieur. Une préparation minutieuse qui a permis aussi d’assassiner des hauts gradés et des scientifiques de manière ciblée, à environ 2 000 kilomètres de distance. Comment Israël est-il parvenu à lancer cette offensive contre l’Iran le 13 juin ? Comment le Mossad a œuvré pour le déclenchement de l’opération « Rising Lion » ? Entretien avec Vincent Nouzille, journaliste d’investigation et spécialiste d’Israël.
Par : Achim Lippold
RFI : Que sait-on de cette opération militaire préparée par le Mossad et d’autres services de renseignements ?
Vincent Nouzille : On sait que le Mossad – le service secret israélien – a une grande habitude de mener des opérations en Iran. Par exemple, en 2018, ils ont volé 55 000 documents dans un hangar près de Téhéran, portant sur le programme nucléaire iranien. Il y a donc une véritable focalisation du Mossad sur l’Iran et sur la progression de son programme nucléaire, officiellement à des fins civiles, mais avec une suspicion de vouloir produire suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une bombe atomique.
Depuis 20 ans, le Mossad travaille sous les ordres du gouvernement israélien pour tenter d’infiltrer, de retarder et aujourd’hui d’entraver complètement, non seulement le programme nucléaire iranien, mais aussi l’ensemble de la chaîne de commandement, voire le pouvoir iranien.
Évidemment, il y a eu plusieurs phases de préparation. La première consistait en l’interception des communications des principaux dirigeants iraniens, notamment les Gardiens de la révolution. Ces opérations techniques ont démarré dès 2004-2005. Ensuite, il y a eu une deuxième phase de recrutement de sources à l’intérieur même du système iranien. On sait, de sources certaines, que certains agents supposés du Mossad ont été arrêtés, voire exécutés en Iran. Ils bénéficiaient de complicités importantes, soit d’opposants au régime iranien, soit de personnes à l’intérieur du régime, pour des raisons diverses, souvent liées à la corruption. Le Mossad est extrêmement fort pour recruter des sources avec beaucoup d’argent.
La troisième phase a commencé avec la guerre déclarée par le Hamas et les opérations du 7 octobre 2023. On est passé à un cran supérieur, avec pour objectif de décimer le Hamas et d’affaiblir durablement son allié, le Hezbollah. On a eu une forme de répétition générale avec les frappes ciblées au Liban, notamment les attaques contre les télécommunications en septembre 2023.
Les préparatifs de cette opération massive en Iran ont impliqué, non seulement le Mossad, mais aussi l’ensemble des services israéliens et l’armée israélienne. Tout cela a été préparé depuis le mois d’octobre 2024, après que l’Iran a répliqué à la mort du chef du Hezbollah par une pluie de missiles sur Israël. Cette réponse iranienne a motivé le Mossad et l’ensemble de la chaîne militaire israélienne à préparer cette opération en Iran
Une opération qui visait donc aussi bien des sites militaires que des personnes impliquées dans le programme nucléaire.
Il y avait des obstacles techniques, comme la localisation des cibles, des scientifiques, des batteries anti-aériennes et des tirs de missiles. Le Mossad avait des commandos infiltrés en Iran de longue date ou très récemment, pour disposer de mini-bombes ou de drones activables sur place. Ils ont frappé les batteries anti-aériennes pour les rendre inopérantes, combinant interception de communications, sources humaines et localisation des principaux chefs.
Le deuxième objectif majeur était les sites nucléaires. Ils ont déjà frappé ces sites de diverses manières, y compris des virus informatiques, des incendies suspects, des explosions et des attentats contre des scientifiques iraniens. En 2020, un grand scientifique nucléaire iranien a été tué par un drone piloté par intelligence artificielle.
Cette opération montre la capacité du Mossad et des services israéliens à mener des actions offensives à grande échelle. Après l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, Israël a montré qu’il pouvait non seulement réagir, mais aussi prendre l’initiative. Cette opération contre l’Iran démontre une volonté affichée de changement de régime à Téhéran.
Est-ce que les États-Unis étaient impliqués dans cette opération ?
Il est impossible de penser que les États-Unis ne soient pas au courant de l’ensemble de la préparation, vu l’ampleur de l’opération et la mobilisation de 200 avions de chasse. Ils ont les moyens électroniques et de surveillance nécessaires. Ils ont probablement fourni des renseignements sur la localisation de certains sites et des cartographies complétées par des satellites et des interceptions. Mais les Américains ne reconnaîtront jamais leur implication officielle.
Cette opération en dit-elle plus sur les capacités du Mossad ou sur les failles de sécurité du régime iranien ?
Les Israéliens ont été choqués et déstabilisés par l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Ils ont montré, depuis cette date, qu’ils avaient une capacité de renseignement et d’action offensive. Cette opération contre l’Iran démontre une surprise stratégique, mais aussi une prise de risque majeure. Le pouvoir iranien montre ses faiblesses et son incapacité à se protéger contre les infiltrations. Cependant, il est difficile de savoir jusqu’où cela ira et quelle sera la capacité de résilience des Iraniens.
Quelle a été la réaction au sein du régime iranien après cette opération ?
On n’a pas beaucoup de renseignements sur l’état d’esprit des principaux chefs militaires ou du renseignement iranien. Ce que l’on sait, c’est qu’ils ont été décimés de manière massive, notamment lors d’une réunion de crise où ils ont été surpris et ensevelis sous des bombes. Ils ont été totalement décontenancés et pris à contre-pied. Mais il est difficile de savoir s’ils sont prêts à lâcher prise ou s’ils vont contre-attaquer. Cette attaque est historique et montre une volonté israélienne de changement de régime à Téhéran.
À votre avis, en ce moment, y’a-t-il encore des agents qui opèrent sur le terrain et qui préparent un prochain coup ?
Bien sûr. Une fois que la première vague de surprise a eu lieu, c’est-à-dire les frappes massives, les assassinats ciblés de scientifiques, les sites nucléaires, on peut penser que le prochain coup pourrait être l’élimination du numéro un iranien. Si le système iranien est suffisamment ébranlé par les frappes, par le chaos, par l’absence de réponses, de représailles, Israël peut très bien tester les limites du système et se dire : « Après tout, on peut peut-être tenter comme on l’a fait avec Nasrallah ou Assad. » Mais le morceau est quand même beaucoup plus gros.
Donc, provoquer un chaos dans le pays, est peut-être souhaité, mais en même temps, quelles sont les alternatives ? On ne sait pas. C’est là que c’est un jeu extrêmement dangereux. Surtout, au sein du régime, il doit y avoir beaucoup de questions parce qu’on ne sait plus sur qui on peut s’appuyer, à qui on peut faire confiance, qui collabore avec le Mossad. Et ça crée forcément un sentiment de paranoïa. C’est aussi une partie de la propagande israélienne d’essayer de semer cette terreur en disant : « Vous êtes infiltrés, on peut vous loger partout, nous savons où vous êtes. »
RFI/