28
Juil
2019
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Quand les tueurs de la République inspirent les romanciers

Paru en 2015 (puis en 2016 en poche), mon livre-enquête sur « Les tueurs de la République«  continue de faire parler de lui. Il inspire même, directement ou indirectement, des romanciers, qui ont visiblement puisé dans mon enquête de quoi nourrir leurs écrits.

Naturellement, je ne suis pas le premier à donner des idées à des écrivains sur les opérations Homo (pour homicides) ni les missions secrètes confiées à des agents très spéciaux, visant à éliminer des ennemis présumés des Etats. Quelques exemples, parmi d’autres:

 

 

-Le fameux Robert Ludlum, auteur de la trilogie Bourne « La mémoire dans la peau », « la mort dans la peau » et « la vengeance dans la peau« , incarnée au cinéma par Matt Damon, racontait, au début des années 80, l’histoire d’un tueur d’une cellule clandestine de la CIA, devenu amnésique et poursuivi par ses anciens employeurs.

« Jason Bourne était une ordure, un traîne savates paranoïaque, mêlé à la guerre du Vietnam en participant à une opération dont personne aujourd’hui encore, n’accepte de reconnaître l’existence. C’était un ramassis de tueurs, de paumés, de contrebandiers et de voleurs, criminels en fuite » avoue un dirigeant de la CIA dans l’un des opus.

Mais Jason Bourne est une fausse identité, une légende. Et c’est sa vraie identité que cherche, tout au long du récit, le tueur ayant perdu la mémoire.

 

-Dans un roman à clés, assez mystérieux, titré « La vie mélancolique des méduses » (Grasset), publié en 2005, l’ancien ministre de la Défense, François Léotard, – qui connaissait quelques arcanes des services secrets pour en avoir eu la tutelle – s’était mis, lui aussi, dans la peau d’un « tueur », mais au service de la France.

« Nous ne savons pas les noms de ceux qui nous donnent des ordres, ni à fortiori l’identité de ceux qui les emploient. Payés en liquide, nous sommes des fugitifs, insensible, visqueux, sans visages. Nous gérons la vie des profondeurs. Assez semblable en cela aux agents de nettoiement qui font disparaître dans la nuit ce qui doit être éliminé… Drôle de métier quand même; métier d’un monde inversé, passé sous silence, inconnu des journaux et des juges, des parlements et des ambassades, métier de mort au service de cause indéchiffrables, présentées comme des raisons d’Etat« .

En réalité, François Léotard ne pouvait dévoiler le nom de la cellule Alpha, constituée au milieu des années 80, chargée, en marge du service action de la DGSE, des opérations d’élimination, cellule dont j’ai raconté l’histoire. Mais il mettait à nu les états d’âme d’un tueur invisible, une méduse…

-Autre précurseur, DOA, nom d’emprunt (Dead on arrival) d’un romancier passionné d’histoires secrètes, a, en 2007, narré dans son roman « Citoyens clandestins » (Gallimard) les opérations d’un autre tueur, surnommé Lynx, employé par les services secrets français, pour régler leurs comptes à des terroristes islamistes sur le territoire français, dans le contexte de la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Le récit est poignant, complexe, avec des guerres des services (PJ, DST, RG, DRM, DGSE), des sociétés opaques de mercenaires et d’armement, et des coups bas dans tous les sens… Lynx exécute ses « cibles » de sang-froid, en écoutant de la musique…

« Il injectait au prisonnier un curare dépolarisant utilisé en anesthésie, mais à une dose telle que celui-ce ne se réveillerait plus jamais. Bientôt, tous ses muscles se tétaniseraient puis, progressivement paralysé, il finirait par ne plus pouvoir ne serait)ce que respirer et mourrait. Le produit se métaboliserait dans l’organisme quelques minutes après son inoculation, devenant ainsi indétectable ».

 

 

 

 

Plus récemment, dans la foulée du mon livre, qui n’était pas une fiction, d’autres romanciers ont creusé cette veine.

-C’est notamment le cas, avec talent, pour Laurent Gaudé, prix Goncourt, qui a écrit en 2006, un best-seller « Ecoutez nos défaites«  (Actes Sud), où il croise le récit d’Assem, un tueur des services secrets français, qui a notamment participé aux opérations visant à éliminer le colonel Kadhafi en 2011, et l’histoire de plusieurs meneurs de grandes guerres, Grant, Hannibal, Selassié, aux couleurs souvent sombres, car les victoires n’existent pas, pas plus que les défaites…

« Il a mené des opérations pour les renseignements français de Bamako à Genève, de Beyrouth à Tanger. Il a vu des régimes tomber, des peuples se relever, des hommes mourir. Aujourd’hui, Assem Graïeb est fatigué. La mission qu’il accepte est peut-être la dernière : retrouver un ancien membre des commandos d’élite américains soupçonné de divers trafics.

Laurent Gaudé a confié, lors de plusieurs interviews lors de la sortie de son livre (notamment sur RTL le 1/9/2016) avoir été « assez frappé » par mon livre sur les « tueurs de la République, au point de s’en inspirer pour dresser le portrait de son anti-héros, dans les zones grises des guerres modernes.

 

 

-En 2018, le romancier Henri Loevenbruck, s’est également saisi du sujet, dans un thriller titré « J’irai tuer pour vous«  (Flammarion). Le récit, très documenté, se déroule au milieu des années 80, alors que la France traverse sa pire période d’attentats (1985-1986) et de prises d’otages au Liban, et que le pouvoir politique (ils sont tous là, Mitterrand Chirac, Pasqua) est démuni. Le roman met en scène un « tueur de la république », nommé Marc Masson, alias Hadès, inspiré d’un personnage réel, chargé, après des aventures en Amérique Latine, de missions spéciales par la DGSE, en l’occurrence éliminer les commanditaires présumés d »attentats et de prises d’otages, dont un certain Ahmed, dit le Vautour, pilier du Hezbollah, allié des Iraniens. Tout le contexte est vrai, seule l’histoire de Marc Masson, est fictionnée. Et encore…

« Marc, tapi dans l’ombre, reconnut sans peine les traits du sinistres Ahmed M, qui entreprit son tour rituel du pâté de maisons avant de s’engouffrer enfin à l’intérieur du bâtiment. Tout se passait comme prévu. l’ordre tant attendu tomba à 15h17: -« Hadès, de Serpico. Procédez. » Marc, grisé par l’adrénaline, passa immédiatement à l’action. […] A 15h37, enfin, alors que le Vautour avait de nouveau disparu dans le sous-sol de l’immeuble, l’explosion déchira l’air dans une gerbe de métal et de feu, résonnant au milieu des vieux immeubles de Beyrouth. -« Hadès, de Serpico, mission réussie, entamez votre parcours de dégagement. Terminé. »

 

-Enfin, le sociologue Adil Jazouli, expert des banlieues, a publié début 2019, un curieux livre « Le liquidateur des Fichés S » (La boîte de pandore), où il imagine les missions secrètes d’un commandant de police, nommé Ange Espada, chargé par son mentor d’employer la manière forte pour neutraliser des présumés terroristes en France. Après avoir subi des traumatismes lors d’interventions musclées au sein de la BRI, Ange Espada accepte un poste officielle à la DGSI, mais aussi de mener clandestinement des opérations illégales:

« Prélever quelques islamistes fichés S, criminel et assassins en puissance te menace permanente contre le pays. Procéder à des exécutions préventives et extra-judiciaire, car c’est bien de cela qu’il s’agissait. Il avait dit oui à cette proposition un peu folle parce qu’elle correspondait à ce qu’il pensait lui-même sans oser aller jus’u bout de son raisonnement. »

Naturellement, ce roman est peu crédible en vérité, mais le fait qu’un sociologue connu imagine ce type de scénario pour que « la peur change de camp » est assez révélateur du basculement assez radical d’une frange de l’opinion en faveur de ce type d’opérations. Mais ce n’est qu’un roman!

 

Bonnes lectures!

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