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Déc
2022
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Rencontre avec Monica Sabolo: « La vie clandestine », récit sur Action directe et autres démons

Le plaisir fut grand, le 2 décembre 2022, d’échanger avec l’écrivain(e) Monica Sabolo, dans le cadre des rencontres de la Librairie de la Place aux Herbes. Je n’avais, à dire vrai, jamais lu les romans de cette auteure avant d’avoir l’opportunité d’animer un débat autour de son dernier livre titré « La vie clandestine » paru chez Gallimard, dans la liste des nominés au Goncourt.

Née à Milan, d’une mère compliquée et d’un père inconnu, Monica Sabolo a grandi du côté de la Suisse auprès d’un père adoptif mystérieux. Ses premiers romans sont empreints d’histoires d’amour, puis de jeunes filles un peu perdues, et de lourds secrets de famille. J’ai découvert « Summer », livre du nom d’une adolescente qui disparaît, sur les bords du lac Léman, avant qu’on découvre qu’elle a été abusée par son père. On pressent que l’auteur aborde, par petites touches, ses propres démons…

Dans « La vie clandestine », elle choisit de les dévoiler plus directement, dans un récit tissé de deux histoires apparemment sans rapport initial : celui des jeunes femmes du groupe terroriste d’extrême gauche Action directe, et le récit de la jeunesse de Monica S. , abusée par son père adoptif Yves S.

Pourquoi Action directe ? L’auteur répond qu’elle voulait construire un récit d’enquête sur un sujet éloigné d’elle-même, en s’interrogeant sur la bascule criminelle du groupe Action directe, et principalement de ses deux figures de proue féminines, Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon, qui revendiqua notamment l’assassinat de Georges Besse, patron de Renault, tué boulevard Edgar Quinet un jour de novembre 1986.

Monica Sabolo s’avance dans la reconstitution minutieuse de leurs parcours de militantes ultras, passées dans la clandestinité, puis elle va à la rencontre de quelques survivants du groupe Action directe, libres ou sortis de prison après de lourdes condamnations. Ce faisant, elle dresse le portrait d’une époque, celle des années 70 et 80, et de personnages aussi terrifiants qu’insondables. En parallèle, elle dévoile les secrets de sa propre « vie clandestine ». « Je ne savais pas qui j’étais. Je vivais comme un espion dans une légende, sans connaître ma vraie histoire » confie l’italienne lors de nos échanges. Jusqu’à la divulgation, au milieu du livre, de l’inceste enduré en Suisse, secret qui peut tout détruire autour d’elle.

Entre les crimes commis par Action directe, jamais désavoués franchement par ses auteurs, et le crime paternel, jamais assumé, il y a des ponts, des effets de miroirs. La question du pardon – possible, impossible – traverse ce récit touchant. Monica Sabolo se tient en permanence sur un fil d’acrobate ou de funambule, sans jamais céder à la complaisance ni au narcissisme. On est sur le bord de la falaise, avec Monica S, entre le terrorisme extérieur et la terreur intérieure. « Ce livre m’a apaisé », dit-elle au public nombreux venu l’écouter à la Librairie de la place aux Herbes. Elle n’en a sans doute pas terminé avec ses démons. Mais au moins les a-t-elle nommés.

Merci à la Librairie pour cette découverte et cet échange!

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