Pourquoi les familles des victimes du DC10 d’UTA réclament justice au procès de l’affaire Sarkozy-Kadhafi
« Une dinguerie ! » C’est avec ces mots directs que Danièle Klein (voir photo ci-dessus) commente le procès des financements libyens auquel elle assiste depuis le premier jour le 6 janvier dernier. Regard clair, voix posée, Danièle Klein, qui va témoigner à la barre, n’y vient pas par hasard. Son frère Jean-Pierre est décédé le 19 septembre 1989 dans l’attentat contre le DC10 d’UTA, qui a tué au total 170 passagers et membres de l’équipage. Or le cerveau de cet attentat, le libyen Abdallah Senoussi, est au coeur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, qui fait l’objet du procès en cours au tribunal correctionnel de Paris.
Après plusieurs années d’enquête, le juge Jean-Louis Bruguière avait, en effet, remonté la piste des exécutants et responsables de cet attentat, qui se situait au cœur des services secrets libyens, dirigés par Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et responsable de ses basses œuvres. Six agent libyens, dont Senoussi, ont été condamnés par contumace, à la perpétuité, par une cour d’assises spéciale en mars 1999. Des mandats d’arrêt internationaux ont alors été délivrés par la France contre ces terroristes.
Or, après cette condamnation, le pouvoir libyen, Kadhafi en tête, a tout fait pour obtenir l’impunité judiciaire pour Senoussi, qui était un des plus hauts dirigeants du régime. Le sujet a été abordé dès 2003 lors des négociations sur les indemnisations des familles des victimes, qui se sont conclues en janvier 2004. Kadhafi en a reparlé au président Chirac lors sa venue à Tripoli en novembre 2004.
Mais c’est surtout avec l’équipe de Nicolas Sarkozy que le sujet a été remis sur la table fin 2005 dans des conditions les plus controversées. A deux reprises, Senoussi – pourtant persona non grata pour les Français, à cause de sa condamnation – a rencontré secrètement ses proches de Sarkozy : Claude Guéant, son directeur de cabinet, et Brice Hortefeux, ministre délégué et fidèle d’entre les fidèles. Les deux hommes plaident le « guet-apens », mais l’argument est jugé peu crédible par le parquet, parce qu’ils n’en ont fait aucunement état à leur retour, ni fourni durant l’instruction d’explications plausibles sur les conditions de ces entretiens secrets, organisés par l’entremise de l’intermédiaire sulfureux Ziad Takieddine.
Selon les juges ayant mené l’instruction, un pacte de corruption aurait alors été noué : de l’argent pour financer la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en échange de l’impunité judiciaire pour Senoussi. Kadhafi a d’ailleurs évoqué la situation pénale de son beau-frère devant Sarkozy, venu en visite officielle à Tripoli le 6 octobre 2005.
Quelques semaines plus tard, le 25 novembre 2005, l’avocat personnel de Sarkozy, Thierry Herzog, accompagné de son confrère Francis Szpiner (ce dernier conteste ce fait) se sont rendus en Libye pour discuter avec les avocats de Senoussi des options possibles pour faire tomber cette condamnation à perpétuité. La justice dispose, en l’occurrence, du compte-rendu libyen de cette réunion, qui provient des archives de Senoussi lui-même. Ce document, transmis à la justice en 2018 et attesté par l’avocate libyenne Azza Maghur, qui assistait à cette réunion, fait partie des documents des archives de Senoussi que Karl Laske et moi déatillons et révélons dans le livre « L’assassin qu’il fallait sauver », publié ces jours derniers chez Robert Laffont.
D’autres documents de l’instruction viennent étayer l’hypothèse selon laquelle l’équipe Sarko a continué de s’occuper du dossier Senoussi au moins jusqu’en mai 2009, notamment des échanges entre Senoussi et Herzog, et une note sur une réunion à l’Elysée entre Claude Guéant, secrétaire général, et Ziad Takieddine, proche de Senoussi. A la barre du tribunal, ces jours derniers, Claude Guéant s’est défendu de toute intervention dans cette affaire, mais il a confirmé qu’il s’agissait, lors de ce rendez-vous avec Takieddine en mai 2009, de « clore » le dossier Senoussi. Ce qui démontre qu’il était « ouvert » au moins jusque-là.
Pour Danièle Klein et plusieurs autres membres des familles des victimes du DC10 d’UTA, ces discussions des proches de Sarkozy pour blanchir Senoussi, l’assassin de leurs proches, constitue bien une « dinguerie », un affront, pire une trahison. Derrière les soupçons de corruption et de financement illégal de ce dossier, il y a ce attentat meurtrier que l’on voulait effacer, cet assassin qu’il fallait sauver.
Plusieurs dizaines de membres des familles des victimes du DC10 d’UTA se sont constituées parties civiles dans le procès en cours sur les financements libyens. Certains vont témoigner à la barre jeudi 23 janvier de leur parcours et de leur demande de justice.
PS : Le mandat d’arrêt international à l’encontre d’Abdallah Senoussi est toujours actif. Rien n’empêcherait la France de demander à nouveau à la Libye son extradition afin qu’il puisse à nouveau être jugé. D’autant que de nouveaux documents, que nous pubiions dans notre livre, notamment sur l’affaire du DC1O d’UTA – et aussi celle de l’attentat de Lockerbie, qui a tué 270 personnes le 21 décembre 1988 – fournissent des révélations et de nouveaux noms, qui peuvent intéresser les magistrats. Tous les documents et détails dans notre livre.