13
Oct
2023
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Attentat d’Arras: le frère aîné du suspect avait eu des problèmes au lycée Gambetta

Selon des sources policières et des documents auxquels j’ai pu avoir accès, en complément des articles déjà parus dans plusieurs médias (France Info, Le Parisien, Le Monde, Libération), je peux partager quelques informations sur la famille de Mohammed M, ancien élève du lycée, jeune russe d’origine caucasienne interpellé lors de l’attentat qui a coûté la vie à un professeur et blessé trois personnes ce 13 novembre au lycée Gambetta, à Arras.  Et notamment sur le frère aîné du suspect, qui avait eu des problèmes au lycée Gambetta.

Né le 4 février 2003 à Nazran (Ingouchie), en Russie, Mohammed M. est le deuxième fils d’une famille de cinq enfants. Les parents ont quitté la Russie en 2004, avec leurs deux fils aînés, Mosvar, né le 23 décembre 2001, et Mohammed. Ils ont d’abord séjourné en Pologne et en Belgique, puis à nouveau en Pologne, dans l’attente d’une réponse à leur demande d’asile. En Pologne, ils ont eu deux autres enfants, une fille, et le jeune S., né le 22 novembre 2006 (interpellé également ce matin à Arras). La demande d’asile ayant été refusé, la famille est repartie en Belgique, près d’Anvers dans un camp de réfugiés, avant d’arriver en France en mars 2008. Ils ont d’abord vécu près de Nantes, puis à la Roche-sur-Yon, à Fougères et dans d’autres villages en Bretagne, où une dernière fille est née. La famille a emménagé en 2014 à Arras avec ses 5 enfants.

Le père de Mohammed M., Iakub, né en 1972 à Ingoucheti (Russie) a fait l’objet de multiples mesures pour être expulsé du territoire français, après que sa demande d’asile ait été refusée par l’Ofpra, décision confirmée par la cour nationale du droit d’asile. Après un arrêté d’expulsion en 2013, le père a refusé de s’embarquer dans l’avion en 2014. En décembre 2016, il fait l’objet d’un arrêté de refus de séjour et d’une obligation de quitter le territoire, qui n’a pu être exécutée. Après un nouvel arrêté en 2017, il a finalement été expulsé vers la Russie le 2 novembre 2018. Son épouse s’est dite séparée de lui, et est restée à Arras avec ses enfants.

Le frère aîné de la famille, Movsar M., est connu des services de police et de la justice. Il a été impliqué en 2019 dans une affaire de projet déjoué d’attentat terroriste. Comme je le raconte dans mon livre « Le côté obscur de la force » (Flammarion), la DGSI a infiltré en février 2019 une chaîne Télégram, nommée initialement « Ikhwan Al Haqq », avec plusieurs personnes radicalisées. Le plus vieux, âgé de 39 ans, se disait prêt à « laisser quelques douilles ici et là », notamment en visant des commissariats, des CRS ou des policiers à leur domicile. Ils recherchaient des armes. Ils évoquaient aussi une attaque d’une église, d’une journaliste de Charlie-Hebdo, un attentat kamikaze sur les Champs-Elysées et contre le palais de l’Elysée, « pour faire du sale », avec des repérages à la clé. La DGSI a participé, sous couverture, à plusieurs de leurs réunions préparatoires et leur a fourni des armes (démilitarisées), avant de les interpeller le 26 avril 2019 à Paris. Un complice, jeune « émir » de 17 ans, d’origine tchétchène, a ensuite été arrêté à Strasbourg.

Movsar M., lui, à Arras, apparaît en périphérie de cette affaire. Alors lycéen au lycée Gambetta, âgé de 17 ans, il a été arrêté par la DGSI au domicile familial, en présence de sa mère et ses frères et sœurs, le matin du 23 juillet 2019. Il a été mis en examen dans le dossier, d’abord pour association de malfaiteurs terroristes, et aussi pour avoir échangé avec plusieurs des protagonistes sur Télégram et ne pas les avoir dénoncés.

Movsar M. a d’abord expliqué qu’il était contre le terrorisme et le djihad. Mais il expédiait tout de même des vidéos de l’Etat islamique d’exécutions de prisonniers à l’un des protagonistes sur sa propre chaîne Télégram, avec des commentaires comme celui-ci : « j’ai direct pensé à toi, qui aime les égorgements »… Dans un autre échange, qui fait, selon les enquêteurs, référence à une image de François Hollande présent dans une librairie le 24 avril 2019, Movsar M. demande à son contact : « Hollande, il revient quand ? C’s trop bizarre en vrai qu’il n’y ait pas de sécurité ».

Dans cette affaire, cinq personnes, dont deux mineurs (Movsar M. et le jeune émir), mises en examen ont été jugées, à huis clos, par une cour d’assises spécialement composée en avril 2023 à Paris. Ils ont été condamnés à des peines allant de 5 ans jusqu’à 15 ans de prison pour association de malfaiteurs terroristes (AMT). Movsar  M. a été condamné à cinq ans de prison pour « non dénonciation de crime terroriste ». Et il a été aussi  condamné à 18 mois de prison en juin 2023 pour apologie du terrorisme par le tribunal correctionnel d’Arras. Comme je ne suis pas certain qu’il n’y ait pas eu appels de ces condamnations, je précise que les protagonistes sont présumés innocents.

En septembre 2020, quelques mois après son arrestation, Movsar M. avait bénéficié d’une libération conditionnelle, avec port d’un bracelet électronique. Mais cette mesure a été annulée en septembre 2021, après des incidents. Il avait notamment téléchargé des chants islamiques, des « anasheed », du type « « allons-y, égorgeons-les », « L’Etat islamique est mon destin », ou « l’heure de tuer est arrivée ». « Le bracelet, c’était dur », a-t-il dit au juge. « Et rien ne s’est passé comme prévu. Le lycée m’a claqué la porte au nez sans plus d’explication […] j’ai essayé de faire des efforts, de travailler chez moi, mais chez moi, c’était compliqué. Avec ma mère, c’était difficile, car elle m’en veut d’avoir eu des problèmes, elle en a souffert ».

Un autre incident, datant de fin 2016, laisse penser que Movsar M, boxeur amateur comme son cadet Mohammed M., n’était pas totalement à son aise dans l’environnement du lycée Gambetta. Même si sa mère a affirmé qu’il n’avait aucun problème de scolarité ou de comportement, les services de renseignement avaient eu vent de remarques faites, début décembre 2016, au lycée Gambetta par Movsar M. lors d’une séquence sur les « valeurs de la République » où était abordée la liberté d’expression et les attentats de Charlie-Hebdo. Selon une note des services, Moslav M. aurait dit que « l’attentat avait eu lieu car ils avaient insulté le prophète. Ils ont insulté l’Islam en représentant le prophète. Et les chiites ne sont pas des musulmans ».

Movsar M., incarcéré et aujourd’hui âgé de 22 ans, a-t-il eu une influence déterminante sur son jeune frère Mohammed, âgé de 20 ans ? Ou ce dernier, présumé innocent, s’est-il décidé pour d’autres raisons ? Ce sera aux enquêteurs et à la justice d’explorer toutes les pistes de ce contexte familial.

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