25
Juin
2021
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Journalistes de RFI et Bakabo: la vengeance française en question

Le 5 juin 2021, des commandos des forces spéciales françaises ont mené une opération contre un groupe affilié à Al Qaïda au Maghreb Islamique, mené par Baye ag Bakabo et ses hommes alors qu’ils devaient attaquer la base de la Mission des Nations unies (Minusma) à Aguelhok. Selon Paris, le dénommé Bakabo, mort lors de cette opération avec 3 autres djihadistes, n’était pas spécifiquement ciblé. Il ne s’agissait pas, officiellement, d’une frappe ciblée.

Mais la ministre des Armées Florence Parly s’est tout de même réjoui publiquement de la « mort » de celui qui était considéré comme l’un des principaux responsables de l’enlèvement et de l’assassinat des deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon le 2 novembre 2013 près de Kidal. »Le chef djihadiste qui avait orchestré leur enlèvement et leur assassinat, vient d’être tué par la force Barkhane« , s’est-elle félicité (son discours 2021 06 11 Allocution ministre concernant la neutralisation de Baye Ag Bakabo – 11 juin 2021). « Sa neutralisation met fin à une longue attente » a-t-elle ajouté, le 11 juin, soit quelques jours après l’annonce, par le président Macron, de la fin de l’opération Barkhane dans sa forme actuelle.

Près de 7 ans après le début de cette opération, l’Elysée hésitait depuis plusieurs mois sur la conduite à tenir. Mais le deuxième coup d’état militaire au Mali, la faiblesse du soutien international et la dégradation de la situation sécuritaire ont finalement précipité cette décision, qui ne met, cependant, pas fin aux opérations militaires françaises au Sahel. L’heure est simplement venue, aux yeux de Paris, de faire évoluer le dispositif, devenu trop lourd, trop coûteux, trop français, malgré la montée en puissance sur place du groupement européen des forces spéciales Takuba.

L’annonce publique de la neutralisation de Bakabo sonne comme un rappel: « Cette opération est le reflet de la priorité de la France au Sahel : combattre et faire tomber les chefs des groupes terroristes qui sévissent dans la région » a rappelé Florence Parly. Autrement dit: la chasse aux High Value Targets (HVT), la traque des chefs, va se poursuivre, comme elle n’a pas cessé depuis 2013, comme je l’ai raconté dans le détail dans « Les tueurs de la République ». Les forces spéciales et la DGSE vont continuer de détecter et de frapper les têtes des organisations ennemie, de manière toujours ciblée, et de manière encore plus discrète.

Bakabo faisait partie des « HVT » traqué depuis des années, sur la « kill list » de François Hollande depuis la mort des journalistes de RFI en novembre 2013, avec les autres assassins présumés et commanditaires de ces meurtres. D’après des notes déclassifiées de la DGSE, les quatre présumés ravisseurs des journalistes avaient été identifiés très tôt: outre le chef Baye Ag Bakabo, propriétaire du pick-up ayant servi aux ravisseurs, figuraient trois complices, Hamadi Ag Mohammed, Al Hassan Ag Toukassa et Mahmoud Ag Mohammed Lamine Fall.

Selon la DGSE, Bakabo était proche d’Abdelkrim El-Targui, un leader d’AQMI, et aussi membre de la petite katiba Youssef Bin Tachfin (YBT) affiliée à AQMI, dirigée par son ami Sidan Ag Hitta – lequel avait revendiqué la mort de l’otage français Philippe Verdon. La DGSE connaissait bien Bakabo, pour l’avoir débriefé en mars 2013 à Kidal comme un ancien membre du groupe Ansar Dine. Elle comptait visiblement le revoir pour obtenir d’autres renseignements. Mais Bakabo leur a échappé. Et le rapt organisé des journalistes, commandité par son mentor Abdelkrim El-Targui, aurait mal tourné.

Depuis fin 2013, la DGSE et les états-majors pourchassaient donc ces djihadistes, comme une forme de justice expéditive. Abdelkrim El-Targui (photo ci-contre) a été tué lors d’un raid le 16 mai 2015. Un autre de ses lieutenants, Mohamed Ali Ag Wadoussène, a été également éliminé le 7 juillet 2015. La traque a franchi une nouvelle étape, le 29 janvier 2016, quand Al Hassan Ag Toukassa, un des quatre membres présumés de l’équipage du pick-up, a été tué par des soldats français lors d’un accrochage dans la région de Kidal. Enfin, le 25 mai 2016, le ministère de la Défense a informé les magistrats que les services de renseignements avaient appris « récemment le décès de Mahmoud Ag Mohammed Lamine Fall, qui serait survenu accidentellement au début du mois de mai 2016″. La DGSE évoquait un accident de la route… Bakabo, lui, restait insaisissable, donné parfois pour mort et d’autre fois comme un exécuteur toujours actif pour le compte de groupes djihadistes.

Sa mort bien réelle, le 5 juin 2021, n’a cependant pas apaisé les proches de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, très mobilisés depuis des années pour connaître toute la vérité . Dans une tribune, parue dans le Monde le 22 juin, ils se sont adressés à Florence Parly, s’étonnant des termes employés par elle suite à cette neutralisation (.2021 06 15 Journalistes de RFI tués au Mali _ « No…endions la justice, pas la vengeance »)

« Nous attendions la justice, pas la vengeance. Nous attendions la vérité d’un procès, pas l’élimination physique de ce cadre djihadiste […] Nous espérions donc, depuis longtemps, son interpellation, son extradition, sa mise en examen et sa judiciarisation en France. Pas cette élimination, qui laisse derrière elle un océan de questions sans réponse et une quête de la vérité en deuil. Cette« longue attente », nous la vivons donc intensément. Mais elle n’est pas la même que la vôtre. »

 

 

 

 

 

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