31
Déc
2017
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Rondot, le maître espion s’en est allé…

Le général Philippe Rondot, 81 ans, est décédé dans la nuit du 25 au 26 décembre dans sa maison de la Nièvre, où il vivait reclus depuis sa retraite prise en 2005. Selon ses dernières volontés, il a été enterré le samedi 30 décembre dans la plus stricte intimité.

Cet homme de l’ombre, à l’allure d’un pasteur presbytérien, n’aimait pas la lumière. Il n’avait pas bien vécu son exposition médiatique lors de l’affaire Clearstream où il avait joué un rôle. Ayant contre-enquêté sur l’authenticité de listings présumés de titulaires de comptes offshore, où figuraient notamment sous un alias le nom de Nicolas Sarkozy, le général Rondot, qui était alors conseiller de la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie, avait douté de leur véracité. A juste titre. Mais ami de Dominique de Villepin et de Jean-Louis Gergorin, deux des protagonistes de l’affaire, il avait été auditionné et ses carnets secrets, où il notait tous de ses rendez-vous, saisis en 2005. Lors du procès en 2009, il argua à nouveau de sa bonne foi et ne fut pas mis en cause.

Mais l’affaire Clearstream laissa en lui une blessure profonde. Celle d’avoir été utilisé, voire manipulé, y compris par certains de ses amis. Et celle d’avoir été exposé aux feux des projecteurs, alors qu’il avait passé sa vie à rester discret.

Fils de Pierre Rondot, grand expert du monde arabe et brillant agent de renseignement au Proche-Orient, Philippe Rondot a suivi les traces de ce père aux allures de Lawrence d’Arabie. Après son passage à Saint-Cyr, le jeune officier entre en 1965 au SDECE, les services secrets français, en tant qu’agent de son Service Action, le bras armé de ses opérations clandestines.  Sous le pseudonyme de Max, il participe notamment à des actions discrètes pour entraver les bateaux de l’organisation Greenpeace. Avec son compère Ivan de Lignières (alias Lionel), il traque le terroriste Carlos qui a tué deux policiers de la DST en 1975. Cette mission les conduit en Algérie, à Malte, mais aussi aux frontières de la Colombie et du Venezuela, où ils se font passer pour des cyclotouristes en vadrouille pour approcher le père de Carlos qui vit sur place. L’opération est finalement annulée mais il poursuivra la traque de Carlos durant 20 ans.

Ecarté brutalement du SDECE en 1977 suite à des soupçons (infondés) d’avoir été approché par les services secrets roumains lors d’un séjour passé à Bucarest, Philippe Rondot vit mal cette éviction injustifiée. Il rejoint alors le Centre d’analyse et de prévision (CAP), petite cellule du Quai d’Orsay, où officient quelques brillants stratèges, comme Jean-Louis Gergorin et Dominique de Villepin. Ecrivant plusieurs livres sur la Syrie, l’Irak et la Jordanie, il parfait son expertise du monde arabe et multiplie les voyages dans la région.

Lorsque François Mitterrand est élu président de la République en 1981, son chef d’état-major particulier, le général Saulnier, confie à Rondot des missions spéciales, notamment en Irak, qui est en guerre contre l’Iran, ainsi qu’au Liban, où l’émissaire passe à deux doigts de la mort, suite à une explosion de sa voiture.

Malgré une contre-enquête qui le blanchit des accusations qui avaient conduit à son éviction du SDECE, il ne peut être réintégré au sein du service renommé DGSE. C’est le préfet Yves Bonnet, directeur de la DST, qui le recrute alors à ses côtés en 1983 comme conseiller spécial sur le Moyen-Orient. Il travaille durant des années avec l’équipe de l’antiterrorisme de la DST (dirigée par Jean-François Clair), cultivant notamment des contacts secrets avec certaines organisations palestiniennes, le Hezbollah et d’autres mouvances islamistes. Il participe notamment aux négociations pour des libérations d’otages français au Liban. Grâce à  la CIA, il peut localiser finalement Carlos au Soudan en 1994, ce qui permet à la France de récupérer le terroriste et de le faire traduire en justice. Mais il échoue à sauver les moines de Tibhirine en 1996, pris en otages en Algérie, non sans une grande déception de sa part, comme il l’écrit lui-même dans cette note.

rondot moines 1

Rattaché la plupart du temps à la DST, le général Rondot est devenu durant cette période un des piliers du renseignement français. Proche de Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur puis de la Défense, il a contribué en 1992 et 1993 à la création de la Direction du renseignement militaire et du Commandement des opérations spéciales. En 1997, il devient l’un des conseillers et hommes de confiance du ministre socialiste de la Défense Alain Richard, tout en cultivant d’excellentes relations avec le président Jacques Chirac et le secrétaire général de l’Elysée Dominique de Villepin. Après les attentats du 11 septembre 2001, il est convoqué à l’Elysée pour évoquer notamment la question des suites à donner aux attentats et notamment d’éventuels assassinats ciblés, que Chirac, finalement, refuse (voir le document ci dessous).
rondot 14 sept

« Conseiller pour le renseignement et les opérations spéciales », il garde son poste lorsque la chiraquienne Michèle Alliot-Marie succède au socialiste Alain Richard en 2002 au ministère de la Défense. Il se voit confier des missions toujours sensibles, comme:

-la gestion en 2001- 2002 du délicat dossier du présumé compte japonais de Jacques Chirac, qui conduira à des règlements de compte aux sein des services;

-la récupération d’agents de la DGSE emprisonnés en Espagne en 2002;

-la tentative de retournement de certains caciques du régime irakien de Saddam Hussein en 2003 (il échoue pour Tarek Aziz, mais réussit avec le chef des services secrets irakiens…)

-la traque des criminels de guerre serbes dans l’ex-Yougoslavie, tâche difficile où il s’implique personnellement, n’hésitant à s’envoler à bord de petits avions pour des séjours prolongés sur place.

Il participe aussi, en 2004, aux difficiles tractations pour libérer les journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot, non sans se heurter à certains hauts responsables, comme le chef d’état-major particulier du président Chirac, le général Georgelin, ou le directeur de la DGSE de l’époque, Pierre Brochand, qui a pris la main sur les négociations des otages.

Ami de l’écrivain Gérard de Villiers, dont il inspire quelques récits de ses SAS, le général Rondot ne déteste pas les contacts peu conventionnels et reste un homme de terrain. Travaillant souvent seul, avec l’aide de sa secrétaire, il peine cependant à coordonner les services comme la DST et la DGSE, aux rivalités ancrées, où il cultive de solides appuis.  Et il ne rend souvent compte qu’à quelques initiés, dont son ami Dominique de Villepin. Méticuleux, il note tout dans ses fameux carnets, de sa plume presque illisible (voir document ci-dessous). Ce sont eux qui vont le conduire devant les juges dans l’affaire Clearstream et ce sont ces mêmes écrits qui vont aussi le dédouaner dans ce dossier.

ALLIANCE CIA ALGERIE RONDOT 7 17:12:2002 - copie

Homme de réseaux, maître espion, ayant navigué entre tous les services et entre tous les gouvernants, le général Rondot a terminé sa carrière sur l’incident Clearstream. Mais son destin singulier au service de son pays valait mieux que cela. Un peu amer, il cultivait ses roses dans son manoir nivernais depuis sa retraite en 2005, sans se départir de sa discrétion légendaire.

Pour en savoir plus sur certaines de ses opérations, voir ou revoir les films « Les tueurs de la République » ainsi que le livre éponyme que j’ai écrit où je raconte quelques-uns de ses faits d’armes.

720537.189

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