Quand Kadhafi offrait ses condoléances aux familles des «innocents passagers » du DC10 d’UTA
Le cynisme de Kadhafi n’avait aucune limite. Des archives inédites, libyennes et françaises, que Karl Laske et moi dévoilons dans notre livre « L’assassin qu’il fallait sauver », sorti ces jours-ci chez Robert Laffont, en apportent plusieurs preuves flagrantes.
[read this article in english here:Gaddafi’s condolences to families of innocent victims in DC10 case ]
Alors que, comme nous le révélons, son beau-frère et chef des services secrets Abdallah Senoussi a préparé minutieusement l’attentat qui a fait exploser le DC10 d’UTA au-dessus du désert du Ténéré (Niger) le 19 septembre 1989, provoquant la mort de 170 personnes, le dictateur libyen prend sa plus belle plume quelques jours tard pour présenter ses condoléances « les plus sincères » aux familles des « innocents passagers » morts dans ce qu’il appelle un « accident ». Ce message inédit (voir détail ci-dessous) que nous avons déniché dans les archives du Quai d’Orsay, est transmis le 25 septembre 1989 au président François Mitterrand par l’intermédiaire du représentant à Paris du Bureau populaire de la grande Jamahiryia libyenne populaire et socialiste. Kadhafi y écrit :
« Monsieur le président,
Nous avons appris avec tristesse e émotion la nouvelle de l’accident de l’avion civil français qi a coûté la vie à ses innocent passagers. Je vous adresse personnellement ainsi qu’aux familles des victimes les condoléances les plus sincères. Colonel Mouammar Khadafi. »
En termes de « sincérité », le dictateur, responsable du terrorisme d’Etat libyen qui a fait des centaines de morts dans les années 70 et 80 se pose en curieux champion !
Et ce n’est pas tout. Dès le surlendemain de l’attentat, alors que les enquêteurs français nagent en plein brouillard pour trouver une piste permettant d’identifier les coupables de cette tuerie de masse, des officiels libyens font passer des messages à des diplomates français à Tripoli visant à démontrer leur bonne volonté et à orienter l’enquête vers… le Mossad israélien. Dans un télégramme daté du 21 septembre 1989 (voir extrait ci-dessous) issu des archives diplomatiques françaises, Pierre Blouin, l’ambassadeur de France à Tripoli écrit : « Depuis la catastrophe aérienne du 19 septembre, les autorités libyennes multiplient les signaux pour se disculper de toute implication dans la destruction de l’appareil d’UTA », notamment en ayant autorisé le survol de leur territoire pour les avions français chargés des recherches des débris de l’appareil dans le désert. Le diplomate ajoute : « L’un des mes collaborateurs a été approché par des libyens chargés de lui faire savoir que leur pays n’était pour rien dans cette affaire e qu’il convenait d’en rechercher les coupables du côté des services israéliens ».
L’ambassadeur poursuit : « Ce zèle n’a évidemment aucune valeur probante, mais il est évident que la Libye doit être considérée comme innocente de toute responsabilité dans ce drame aussi longtemps que la preuve du contraire n’aura pas été apportée. A cet égard, je déplore que certains médias – et notamment des journalistes de radio France International – se soient crus autorisés à commenter l’implication de la Libye dans ce qui pourrait être un attentat terroriste ».
Les journalistes, en l’occurrence, avaient raison, avec beaucoup d’avance. Mais le Quai d’Orsay ne voulait pas croire à la duplicité libyenne. Durant des années, ses responsables auront même du mal à se convaincre, comme nous le racontons dans le livre, qu’il s’agissait réellement d’un attentat commandité par Kadhafi et organisé par Senoussi.
A l’égard des Américains, le cynisme libyen sera équivalent dans l’affaire de l’avion Pan Am, détruit le 21 décembre 1988 au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, avec 270 morts à la clé. Lorsque les enquêtes américaines et écossaises conduisent à l’inculpation de deux agents libyens, mi-novembre 1991, Kadhafi est prêt à tout, là encore, pour tromper ses interlocuteurs occidentaux. Il fait alors semblant d’écarter Abdallah Senoussi de la tête des services secrets, en annonçant la nomination d’un nouveau patron des services, le colonel Youssef El Dibri, ce qui ne constitue qu’une diversion, Senoussi restant aux mannettes. Et surtout, Kadhafi envoie, le 17 décembre 1991, un message secret au président américain Georges Bush. Ce « message oral » est envoyée par l’intermédiaire de l’ambassadeur belge à Tripoli, qui représente les intérêts américains (du fait de la rupture des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et la Libye depuis 1979), reçu par Kadhafi de manière impromptue. Les diplomates belges en informent aussitôt leurs collègues français à Tripoli, qui transmettent son contenu à Paris dans un télégramme, ce qui explique pourquoi nous en avons trouvé la trace dans les archives du Quai d’Orsa (voir l’extrait ci-dessous)
Dans ce message, Kadhafi explique à Bush qu’il va lui adresser un document argumenté de 49 pages visant à orienter l’enquête sur l’attentat Pan Am vers d’autres pistes que la Libye. Il propose que son nouveau chef des services secrets puisse coopérer avec la CIA et d’autres services dans l’enquête sur les attentats de Lockerbie et d’UTA. « Si une coopération directe pose problème, on pourrait passer par l’’intermédiaire de l’Egypte » insiste-t-il. Kadhafi se dit ouvert à la coopération, mais il n’en fera rien, car il ne cessera de clamer l’innocence de la Libye dans ces attentats, tout comme son beau-frère Senoussi.
Les documents issus des archives de Senoussi lui-même, que nous détaillons dans le livre, prouvent aujourd’hui l’ampleur du mensonge libyen de l’époque.