12
Avr
2025
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Fin du procès Sarko-libyen : quelques impressions sur une audience historique

Le procès des financements libyens, appelé le procès Sarko-libyen, s’est achevé le 8 avril, avec les plaidoiries des avocats de l’ancien chef de l’Etat, qui ont naturellement demandé la relaxe, estimant que les charges contre lui étaient inexistantes, les éléments réunis par les juges d’instruction et le parquet étant, selon eux, une construction intellectuelle masquant le vide du dossier. Dans un dernier mot, Nicolas Sarkozy s’est élevé contre un réquisitoire « politique et violent ». Ces deux adjectifs, employés à dessein, laissent à penser qu’en cas de condamnation à son encontre prononcé par les juges du tribunal correctionnel de Paris le 25 septembre, il pourrait, comme Marine Le Pen suite à son jugement dans l’affaire des assistants parlementaires, dénoncer une justice « politique » qui ne chercherait qu’à l’abattre et à régler ses comptes.

Cà, c’est pour l’opinion, ainsi prise à témoin, voir prise en otage, par des dirigeants politiques qui préfèrent toujours se poser en victime d’un système judiciaire désireux de les condamner à tous prix, donc de les museler, avec l’aval tacite du « système », en oubliant souvent les charges précises qui ont conduit à leurs jugements. Car ces arguments de façade, ces éléments de langage politiques, ne résistent guère à l’analyse des faits. Dans le cas de Marine Le Pen, le jugement de 150 pages détaille le système de détournements de fonds en vue de financer son parti mis au point sous l’autorité de sa cheffe. Ayant fait appel, elle bénéficie, comme bon nombre de ses co-prévenus, de la présomption d’innocence, malgré l’inéligibilité immédiate qui la sanctionne. Ce sera la même chose pour Nicolas Sarkozy s’il est condamné le 25 septembre, car il pourra faire appel, ainsi que ses amis Claude Guéant, Brice Hortefeux, Eric Woerth, Thierry Gaubert, preuve que l’état de droit fonctionne en France, malgré les critiques qui l’assaillent.

Le procès des financements libyens, auquel j’ai pu assister en grande partie sur les rangs de la presse, a été, quant à lui, riches d’enseignements. Il s’agissait, faut-il le rappeler, du plus grand procès de corruption présumée au plus haut niveau, depuis le début de la Vème République, avec un ancien Président et trois de ses anciens ministres sur le banc (avec d’autres prévenus, dont certains en fuite). Or, à l’exception de la presse écrite, il a été finalement assez peu couvert par les grands médias, hormis le premier et le dernier jour, comme si le sujet était trop dérangeant pour certains médias proches de la nébuleuse de Sarkozy. Il est vrai que j’ai pu voir des figures de ces médias venir en force le dernier jour pour écouter les avocats de Sarkozy, sans jamais avoir assisté aux audiences précédentes, ni écouté les trois jours de réquisitoire implacable des avocats généraux représentants le parquet national financier… Le traitement médiatique du procès Sarko-libyen reflète, en réalité, l’influence de télés et radios alliés, de longue date, à l’ancien président, toujours bien protégé.

Ce silence n’a pas empêché la tenue d’une audience riche, de débats révélateurs, soutenus, éclairants, sur bien des aspects du dossier, fruit de dix ans d’instruction, de 180 auditions, de milliers de pages et documents assemblés par la justice. A l’argument répété à longueur de temps par Nicolas Sarkozy selon lequel le dossier serait vide, l’audience a apporté la preuve du contraire : des témoignages, des carnets, des agendas, des rendez-vous secrets, des notes manuscrites, des écoutes téléphoniques, des documents bancaires, des retraits d’espèces suspects, la location de coffre-forts, etc. Autant d’indices graves et concordants selon le parquet, graves mais pas concordants selon la défense. La plupart des prévenus ont nié les faits, ou les ont minimisés, certains se noyant dans des explications fumeuses, incompréhensibles, contradictoires. Les dénégations répétées n’ont pas dissipé les soupçons, au contraire.

La chronologie détaillée des faits étaye, d’après l’accusation, l’existence d’un pacte de corruption noué entre l’équipe de Sarkozy et les proches de Kadhafi, à partir d’octobre 2005, dans le but d’aider le candidat pour son élection présidentielle, de 2007 en échange d’appuis et de contreparties en faveur du régime libyen. À commencer par la possible levée de la condamnation à perpétuité, prononcée en 1999 en France, pesant sur Abdallah Senoussi, maitre-espion et terroriste en chef du régime, coupable d’avoir orchestré l’attentat contre le DC10 d’UTA ayant tué 180 personnes le 19 septembre 1989. Ce personnage central est au cœur de cette affaire, comme nous l’avons écrit dans notre livre « L’assassin qu’il fallait sauver », co-écrit avec Karl Laske et le libyen Samir Shegwara (qui est actuellement menacé en Libye) Même si cette immunité n’a finalement pas été accordée à Senoussi, elle a fait l’objet de nombreux contacts et réunions, y compris jusqu’en 2009 à l’Elysée, confortant ainsi l’idée que ce sujet faisait partie du présumé « pacte faustien » dénoncé par les procureurs.

Nicolas Sarkozy s’en est défendu, affirmant qu’il n’avait rien à voir avec tout cela, que ses lieutenants ont sans doute commis des erreurs, voire des fautes de naïveté, sans que cela le concerne. Selon lui, il n’a jamais été mis au courant des rendez-vous secrets à Tripoli entre ses deux proches Claude Guéant, Brice Hortefeux et le terroriste Senoussi, qui constituent les pièces centrales de l’accusation. La théorie avancée par ces derniers – ils seraient tombés tous les deux dans un « piège » tendu par l’intermédiaire Ziad Takieddine pour ces rencontres avec Senoussi – a été considéré comme peu crédible lors des débats. Car il a été établi que le rendez-vous de Guéant a sans doute été préparé en avance. De plus, ni Guéant ni Hortefeux n’ont alerté quiconque, à leur retour, de ce piège prétendu. Et ils ont poursuivi, ensuite, leurs relations avec Takieddine, comme s’ils n’avaient finalement pas grand-chose à lui reprocher…

Ces éléments ont particulièrement ému – et choqué – des familles des victimes de l’attentat du DC10 d’UTA qui étaient parties civiles dans ce procès (ce que les avocats de Sarkozy ont jugé infondés, contrairement au parquet). Par leur présence, par leurs témoignages émouvants à la barre, par leurs mots sévères, accusant Nicolas Sarkozy et ses proches de les avoir trahis en voulant blanchir Senoussi, l’assassin de leurs proches, ces familles ont donné à ce procès une autre dimension. Il ne s’agissait pas seulement d’un procès d’argent noir, de corruption à haut niveau, mais également celui des présumées manœuvres destinées à effacer les crimes terroristes du régime Kadhafi.

Le parquet (voir le tableau détaillé) a requis 7 ans de prison ferme à l’encontre de Sarkozy, 6 ans contre Guéant, 3 ans contre Hortefeux, 1 an contre Woerth. Soit des réquisitions très hautes pour ce procès hors-normes. Les juges vont peser tous ces éléments, et bien d’autres non mentionnés ici tant il y avait d’arcanes dans ce dossier, pour se prononcer le 25 septembre prochain. Avant même son jugement, ce procès a déjà marqué l’histoire.

-Pour en savoir plus, j’ai participé, le 11 avril, à un débat sur la chaine LCP, sur ce procès, dans le cadre de l’émission Débatdoc animé par Jean-Pierre Gratien, avec mes confrères Fabrice Arfi (Mediapart) et Timothée Boutry (Le Parisien-Aujourd’hui en France). Une émission à retrouver bientôt ici.

-Nous étions invités, Karl Laske et moi, à parler de notre livre « L’assassin qu’il fallait sauver » et du procès Sarko-libyen, par Marc Endeweld, dans le cadre de son émission « La boîte noire », auposte.fr. Un grand format, à retrouver ici.

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