Idriss Deby, la mort d’un allié de la France, ami de la DGSE
Le président tchadien Idriss Deby est décédé le 20 avril 2021 dans son pays. Officiellement des suites de blessures « au combat » contre des troupes rebelles qui menaçaient, une fois de plus, de fondre sur la capitale N’Djamena. Venu sur le front conforter son armée, le président, au pouvoir depuis plus de 30 ans, était réputé pour sa combativité. Il a été salué à Paris, comme un « ami courageux » qui a « oeuvré sans relâche pour la sécurité du pays et la stabilité de la région durant trois décennies« .
Pour les experts militaires français et les services de renseignement, au premier rang desquels la DGSE, la mort de Deby constitue une perte importante, celle d’un allié de toujours, qui a démontré sa constance contre les dissidences, contre les menaces libyennes venues du Nord et contre les groupes armés terroristes depuis le lancement de l’opération Serval en janvier 2013, devenue l’opération Barkhane en août 2014, avec son QG militaire basé à N’Djamena. Pour cela, la France a longtemps fermé les yeux sur sa dictature, la répression des opposants et les abus de pouvoir dont son régime était coutumier.
Mais il faut surtout rappeler à quel point Idriss Deby doit aussi à la France, qui l’a porté au pouvoir en 1990 et qui lui a sauvé la mise à plusieurs reprises, à chaque fois dans des conditions extrêmes, au prix de l’engagement de soldats de l’ombre et de l’appui de la DGSE.
Selon de multiples sources, son arrivée au pouvoir par les armes en décembre 1990 pour remplacer son ancien allié Hissene Habré, devenu son ennemi, a été facilité, voire encouragé, par la DGSE. Hissène Habré, coupables de crimes de guerre et d’alliances trop marquées avec la CIA et les Américains, était devenu infréquentable aux yeux de Paris.
La DGSE a ensuite laissé en place à ses côtés plusieurs officiers, devenus au fil des années, des conseillers influents d’Idriss Deby. La France a maintenu une forte présence militaire au Tchad, dont l’armée est considérée comme une des plus solides, et aussi une des plus téméraires. Des anciens responsables du Service Action m’ont souvent indiqué à quel point les techniques d’assaut militaire tchadiennes – des hordes de pick-ups armés fonçant contre tout ennemi dans le désert – les avaient maintes fois impressionnés, tout comme l’endurance des soldats. Lors de l’opération Serval de 2013, les offensives tchadiennes ont été particulièrement meurtrières contre les groupes djihadistes dans le nord du Mali.
Jouant la carte de la stabilité du régime Deby « à tous prix », la France a plusieurs fois sauvé la peau de son allié régional. Ce fut le cas en 2006, et une nouvelle fois en février 2008, lorsque les forces spéciales françaises ont été, par exemple, dépêchées auprès du président tchadien qui faisait face à une offensive armée de rebelles. Un soldat d’élite du 1er RPIMa est mort sous les tirs alors qu’il se trouve au Soudan, en route vers le Tchad. Assiégé dans son palais de N’Djamena en compagnie d’un officier de la DGSE – le colonel Jean-Marc Gadoullet, qui l’a raconté dans un livre -, le président Déby n’a du sa survie qu’à l’intervention de quelques chars de son armée et des commandos français. Grâce à l’officier de la DGSE, il a informé Nicolas Sarkozy, qu’il était toujours en vie, alors que l’Elysée et les état-majors militaires le croyaient mort…
Le dernier coup de main de la France a eu lieu en février 2019, comme je l’ai raconté dans « Les tueurs de la République« . Une cinquantaine de pickups, conduits par 500 rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR) des opposants venus de Libye, fonçait à toute allure vers N’Djamena pour le renverser. Paris a tout fait pour « sauver le soldat Déby », trop précieux dans le cadre de l’opération Barkhane. Le principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays africains, promise par Emmanuel Macron, a été enterré. Son Monsieur « Afrique », le diplomate Franck Paris, passé par la DGSE, a plaidé pour une intervention immédiate. L’Elysée a décidé, le dimanche 3 février 2019, de déclencher une opération militaire d’envergure afin de stopper net le convoi d’opposants à Déby. Pas moins de 7 Mirage ont décollé de N’Djamena, accompagnés d’un drone Reaper, d’un avion de reconnaissance et de trois C-135. Les chasseurs français ont repéré; puis détruit une vingtaine de pickups, au nord-est du Tchad, avant que le reste de la colonne rebelle se disperse. « Nous avons empêché que des groupes armés ne s’emparent d’un territoire, comme cela s’était produit en janvier 2013 au Mali et qu’un partenaire militaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme ne soit déstabilisé», s’est ensuite félicité la ministre des Armées, Florence Parly.
Selon plusieurs sources militaires, la mort « au combat » d’Idriss Déby le 20 avril a surpris tout le monde et menace désormais d’instabilité le régime tchadien, ainsi que la région. Dès l’annonce de ce décès, dont les conditions demeurent obscures, Paris a soutenu discrètement la solution d’une junte militaire de transition, dirigée par le fils d’Idriss Déby. Car la France ne peut se permettre de perdre cet allié, pion important de son influence au sud du Sahara.