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Déc
2024
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Rencontre avec Kamel Daoud, prix Goncourt pour « Houris »

Le 5 décembre, j’ai eu la chance de pouvoir animer une rencontre grand pubic avec Kamel Daoud, écrivain franco-algérien, prix Goncourt pour son formidable roman « Houris » paru chez Gallimard. Plus de 500 personnes sont venues assister à ce moment inoubliable, organisé à l’initiative de la Librairie de la place aux herbes, à Uzès, sa directrice Caroline Perez et ses équipes, et l’appui de la Communauté de communes du pays d’Uzès, qui met, chaque mois, la salle de l’Ombrière, à la disposition de la librairie pour un événement littéraire.

On se présente plus Kamel Daoud, sauf pour rappeler qu’il a été longtemps journaliste et chroniqueur au Quotidien d’Oran, et qu’il est essayiste et chroniqueur au Point depuis 2014. Ses premiers livres ont marqué les esprits, avec son roman « Meursault, contre-enquête », récit du frère de l’arabe anonyme, nommé Moussa, tué sur une plage par le héros du livre « L’étranger « d’Albert Camus. Ce livre, publié en 2013 en Algérie et en 2014 chez Actes Sud, a reçu l’année suivante le prix Goncourt du premier roman. Puis, il y a eu « Zabor ou les psaumes », histoire d’un jeune garçon qui tente d’éloigner la mort par les livres, avec le prix Méditerranée en 2018. Egaement en 2018, Le « Peintre dévorant la femme », un essai sur une nuit au musée Picasso

Enfin, c’est le plus récent, paru en août dernier, « Houris », un véritable coup de poing et coup de maître, qui a reçu le prix Goncourt le 4 novembre. Un livre puissant, magistral, violent, poétique et dérangeant.

C’est le conte des mille et nuits tragiques de l’Algérie, une ode à la mémoire et à la vie, à travers la voix intérieure d’Aube, une femme muette depuis un égorgement, qui parle à son enfant à naître, nommée HOURI (ces femmes promises au paradis), de l’enfer de la guerre civile des années 90 en Algérie.

Ce livre a, selon le Figaro, « la force d’un oued en crue après un terrible orage nommé guerre civile ». France inter en a parlé comme d’un « texte indispensable sur les violences des hommes contre les femmes, sur la mémoire et l’oubli et sur les ravages de l’islamisme en Algérie ». L’académie Goncourt a salué : « un livre où le lyrisme le dispute au tragique, et qui donne voix aux souffrances liées à une période noire de l’Algérie, celles des femmes en particulier. Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace aux côtés du récit historique d’un peuple, un autre chemin de mémoire »

Par la force de son récit, « Houris » aborde de front le sujet tabou de l’Algérie, puisque l’histoire, la mémoire, les victimes de la guerre civile , qui pris près de 200 000 vies, sont des sujets interdits. Le livre cite l’article 46 de la loi de réconciliation nationale votée en Algérie en 2005, qui punit de 3 à 5 ans de prison et d’une amende de 250 000 à 500 000 dinars quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, « utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. »

Courageux, Kamel Daoud jette un pavé dans la mare. Victime depuis des années d’une fatwa, puis de pressions, il a du fuir l’Algérie en secret en août 2023, redoutant un emprisonnement. Depuis la parution de son livre, il fait l’objet d’une campagne de calomnies, de diffamation et de déstabilisation. Dans le Point du 5 décembre, il dit : « c’est l’histoire d’une guerre qui m’est faite pour avoir brisé un tabou ». Son roman est interdit en Algérie. Son éditeur Gallimard a été banni au Salon du livre d’Alger. Le témoignage d’une femme, Saada Arbane, qui l’accuse de s’être inspirée de son histoire, a surgi pour attaquer, non pas ses égorgeurs, mais l’écrivain, alors que celui-ci fait œuvre de fiction sur la tragédie d’un peuple.

Il n’est pas le seul visé. Des campagnes similaires ont ciblé la maison d’édition Koukou dont certains livres sont bannis et dont des auteurs, comme Dominique Martre, ont été interpellés par la police en juin. Elles visent l’écrivaine algérienne Inaam Bayoud, pour son roman Houaria, victime d’un lynchage médiatique, qui a contraint sa maison d’édition MIM à fermer ses portes. Elles visent l’écrivaine algérienne Hédia Benshali, dont le livre « L’Algérie juive, l’autre moi que je connais si peu », fait l’objet d’une censure. Ces campagnes visent très récemment l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui a été arrêté à son arrivée en Algérie le 26 novembre et qui risque une lourde condamnation

A la question que je lui ai posée « peut-on aujourd’hui être « algérien et écrivain ? », Kamel Daoud a répondu, avec une pointe d’ironie : « ce sont deux métiers très différents ». Il a écrit quelques jours plus tôt: « J’écris. Suis-je certain de ce droit? Suis-je prêt à assumer les conséquences, peut-être fatales, de mon écriture? »

Exilé, diffamé, Kamel Daoud savait que la récompense du Goncourt aurait un « prix », mais la pression est forte. Venu à Uzès, il a remercié le public venu le saluer, l’écouter et le soutenir. Il a rappelé, en faisant référence à Albert Camus, qu’il nous faut résister à la tyrannie et rester modeste, et à hauteur d’hommes, pour comprendre la complexité du monde.

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