Avec Karl Laske et Favrice Arfi, enquêteurs pointus de Mediapart à l’origine de nombreuses révélations sur l’affaire Sarkozy-Kadhafi, nous avons pu avoir progressivement accès, à partir de 2020, à des archives des services secrets d’Abdallah Senoussi, l’ancien maître espion libyen et beau-frère du Guide. C’est un Libyen, ex-opposant, Samir Shegwara, qui nous a transmis ces centaines de documents, qui couvrent une grande période de 1986 à 2009. Après les avoir authentifiés et traduits, nous nous sommes rendus compte qu’ils dévoilaient de nombreux secrets de la dictature de Kadhafi, dont les préparatifs minutieux d’attentats connus, comme ceux de Pan Am en 1988 et UTA en 1989, avec des nouveaux noms qui apparaissent dans les archives. Au-delà, ils mettent à jour des négociations secrètes pour circonvenir la justice et pour blanchir Senoussi, lequel a été condamné par contumace à perpétuité en France en 1999 pour l’attentat du DC10. Ce deal était au coeur des négociations avec les proches de Sarkozy en 2005 et 2006, en échange d’une promesse de financement. L’histoire du terrorisme d’hier rejoint celui de la corruption d’aujourd’hui. C’est pourquoi, après avoir rassemblé d’autres éléments et documents inédits, ainsi que des témoignages, nous avons décidé de raconter cette histoire d’un terroriste d’Etat qu’il fallait sauver.
Des archives libyennes apportent de nouvelles preuves dans les affaires de Pan Am et d’UTA
Le livre, sorti le 9 janvier 2025, dévoile des archives d’Abdallah Senoussi, l’ancien maître-espion du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Récupérées après la chute du régime par Samir Shegwara, un opposant à Kadhafi, qui les a transmises aux journalistes d’investigation français Karl Laske (Mediapart) et Vincent Nouzille (spécialiste des questions de renseignement), ces archives touchent à de nombreux sujets : terrorisme, armes de destruction massives, diplomatie secrète, tractations financières, lobbying intensif, corruption.
Ces documents éclairent le rôle central d’Abdallah Senoussi dans le terrorisme d’État de la Libye des années 80 et les préparatifs d’attentats, visant notamment la France et les États-Unis. Ils livrent de nouvelles révélations sur l’explosion du Boeing de la compagnie américaine Pan Am le 21 décembre 1988 au-dessus de Lockerbie (Écosse) et sur celle du DC10 de la compagnie française UTA, le 19 septembre 1989 au-dessus du désert du Ténéré (Niger). Ces attentats avaient tué au total 440 personnes. Soit les attentats les plus meurtriers avant ceux du 11 septembre aux USA.
Les archives d’Abdallah Senoussi démontrent le caractère prémédité de cette campagne d’attentats : livraisons d’explosifs, tests sur des valises piégées, repérages des aéroports, envoi d’agents en mission de reconnaissance, réunions au sommet. Les services secrets de Kadhafi n’avaient rien laissé au hasard. Ces documents révèlent l’implication de nombreux agents et hauts gradés libyens dans ces deux attentats. Certains noms qui apparaissent dans ces documents pourraient relancer les enquêtes judiciaires, de part et d’autre de l’Atlantique, que ce soit sur l’affaire Pan Am ou celle d’UTA. C’est notamment le cas de « l’artificier » libyen Masud, dont le procès doit débuter en mai 2025 aux États-Unis : son rôle apparaît stratégique dans les deux affaires, tout comme celui de Senoussi.
Une fois son implication établie par des enquêtes menées en Écosse, aux États-Unis et en France au début des années 90, la Libye de Kadhafi, frappée d’embargo au début des années 90, avait tout fait pour s’en sortir blanchie. Les archives de Senoussi livrent de nombreuses révélations, notamment sur un deal proposé par les services secrets français, la subornation de témoins importants, les coulisses des procès, les négociations financières avec les victimes.
Condamné en France en 1999 par contumace à la perpétuité pour crimes terroristes dans l’affaire du DC10 d’UTA, Abdallah Senoussi a tout fait, ensuite, pour obtenir la levée de cette sentence. Devenu l’homme clé de la réconciliation avec les États-Unis et avec la France, le maître-espion de Kadhafi a approché l’entourage de Nicolas Sarkozy, avant son élection comme président de la République française en 2007. Un pacte a été discuté: de l’argent contre son impunité. Il était l’assassin qu’il fallait sauver. Ce secret au cœur d’un procès politico-financier qui débute à Paris le 6 janvier 2025, avec Nicolas Sarkozy et plusieurs de ses anciens ministres comme accusés principaux. Basés sur des documents et de témoignages exclusifs, le livre raconte toute cette histoire.